Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/545

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maintenant leur châtiment, plus tard ils le recevront. Ce sont eux qui doivent gémir, ce n’est pas nous. Nous tomberons dans leurs mains ; eux, dans la main de Dieu ! Ce n’est donc pas la victime qui est à plaindre, c’est l’oppresseur ; comme ce n’est pas l’obligé, en définitive, mais le bienfaiteur, qui reçoit le bienfait.
Instruits de ces vérités consolantes, sachons être faciles à supporter le mal et l’injustice autant que prompts à faire du bien aux autres. Nous arriverons à cette disposition, si nous méprisons l’argent et la gloire. L’homme qui se dépouillera de ces passions sera, plus que personne, libre et grand, plus riche même que celui qui revêt la pourpre. Ne voyez-vous pas que de mal fait commettre la passion de l’or ? Je ne parle pas des maux qu’engendrent l’avarice et la cupidité, mais de ceux qui naissent du seul amour de l’argent même bien acquis. Qu’un homme, par exemple, soit ruiné, il mène désormais une vie plus pénible que tout genre de mort. O homme ! pourquoi ces gémissements ? Pourquoi tant de larmes ? Est-ce parce que Dieu t’a délivré du triste et inutile souci de garder ton or, ou parce que désormais tu n’es plus assis auprès de ton trésor, dans la crainte et tremblement ? Si un étranger t’avait lié à son coffre-fort, te forçant à rester là constamment assis, et à veiller pour lesbiens d’un autre, tu gémirais, tu serais furieux. Et lorsque spontanément tu t’étais chargé toi-même de chaînes si lourdes, maintenant délivré d’une pareille servitude, tu gémis ! Nos douleurs ou nos joies ne sont, en vérité, que préjugés, puisque nous gardons nos richesses, comme si elles étaient la propriété d’autrui.
Un mot maintenant aux femmes. Une femme a-t-elle un vêtement tissu d’or ? Avec quel soin elle en secoue la poussière, elle le plie, elle l’enveloppe ! Dans la crainte de le gâter, elle n’en jouit presque pas. En effet, en attendant, elle meurt ou devient veuve. La crainte qu’elle a de l’user en le portant trop souvent, fait qu’elle s’en prive pour le ménager. – Mais elle le laissera pour une autre. – Rien n’est moins certain ; et d’ailleurs en le laissant à une autre, celle-ci en usera de même. – Au reste, si l’on voulait fouiller ce que recèlent nos opulentes maisons, l’on verrait que maints habits précieux, maints objets recherchés sont plus honorés que leurs propriétaires vivants. Loin de s’en servir constamment, en effet, telle femme craint et tremble pour eux, elle en écarte les vers et tout ce qui peut les ronger, elle les dépose pour la plupart dans les parfums et les aromates, elle n’en permet pas même la vue, mais, d’accord avec son mari, elle ne fait que les ranger et les déranger.
3. Saint Paul, dites-moi, n’a-t-il pas eu raison d’appeler l’avarice une idolâtrie ? L’honneur, en effet, que les païens rendent à leurs idoles, ces malheureux le rendent à leurs tissus, à leurs bijoux d’or. Jusques à quand remuerons-nous cette fange ? Jusques à quand serons-nous attachés à la boue et aux briques ? Comme les enfants d’Israël travaillaient pour le roi d’Égypte, ainsi travaillons-nous pour le démon, qui nous maltraite plus cruellement encore que Pharaon les Hébreux. Ne voyez pas ici une hyperbole. Car plus l’âme l’emporte sur le corps, plus il est triste et pénible de la voir maltraiter par l’avarice qui sans cesse la flagelle, l’inquiète, la tourmente.
Gémissons donc et élevons vers Dieu nos regards suppliants ! Il nous enverra non pas Moïse, non pas Aaron, mais sa parole, et une componction salutaire. Dès que cette parole sera venue et aura pénétré nos cœurs ; elle nous délivrera d’une cruelle servitude, et nous fera sortir de cette autre Égypte, de cette passion inutile et vainement laborieuse, de cet esclavage sans profit. Au moins les Israélites, sortant d’exil, reçurent de l’or, juste salaire de leurs travaux ; mais nous autres, nous sortirons les mains vides, et encore serions-nous heureux si nous n’emportions rien ; mais nous emportons avec nous, non les vases d’or et d’argent de l’Égypte, mais ses maux, ses péchés et les supplices dont Dieu les punit.
Apprenons donc à recueillir un vrai profit ; apprenons à bien souffrir une injustice : c’est le caractère du chrétien. Méprisons les vêtements d’or, méprisons les richesses, de peur de mépriser notre salut. Méprisons l’argent, oui, et non point notre âme. À elle, en effet, le châtiment ; à elle, le supplice un jour. Ces prétendus biens restent sur la terre ; notre âme s’en ira ailleurs.
Pourquoi, dites-moi, vous déchirer vous-mêmes et ne pas le sentir ? Je parle ici à ces avares, qui sont travaillés du désir de posséder toujours davantage. Mais il est bon de le dire aussi à ceux que les avares exploitent et volent. Supportez, chères victimes, les dommages que les avares vous font subir. Ils se suicident, et ne sauraient vous tuer. Ils vous privent de votre argent ; mais ils se privent eux-mêmes de l’amour et du secours de Dieu. Or, dépouillé de cette grâce, possédât-on les richesses du monde entier, on est le plus pauvre de la terre ; tandis que le plus pauvre des hommes, s’il jouit de la grâce de Dieu, est certainement le plus riche de tous, puisqu’il peut dire avec le Prophète : « Le Seigneur me conduit, rien ne me manquera jamais ». (Ps. 22,1)
Si vous aviez, dites-moi, un protecteur haut placé et admirable qui vous aimât extrêmement, qui vous portât intérêt ; et si d’ailleurs vous saviez qu’il vivra toujours, que vous ne mourrez pas vous-même avant lui, et qu’il vous fera part de tout ce qu’il a, pour en jouir en toute sûreté comme d’un bien qui vous sera propre et personnel, dès lors vous mettriez-vous en peine de rien acquérir ? En vous supposant même dépouillé de tout, ne vous croiriez-vous pas plus riche que personne ? Pourquoi donc pleurez-vous ? – De n’avoir pas d’argent ? Mais pensez que, par là même, l’occasion de pécher vous est ôtée. – D’avoir perdu vos biens ? Mais vous avez gagné l’amitié de Dieu. – Et comment l’ai-je gagnée, dites-vous ? C’est lui-même qui vous dit : « Pourquoi ne souffrez-vous pas l’injustice » plutôt que de la commettre ? Et :« Rendez grâces au ciel de toutes choses » ; et « Bienheureux les pauvres de bon gré ! » (1Cor. 6,7 ; 1Thes. 5,18 ; Mt. 5,3) Imaginez donc à quelle hauteur vous êtes dans son amitié, si vous mettez ces conseils en pratique.