Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/560

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les œuvres de la nuit, nous dormons, nous rêvons, nos visions nous charment, les yeux de notre corps et de notre âme se tiennent fermés nous parlons à l’aventure et même imprudemment ; nous resterions insensibles, quand bien même on nous plongerait un fer dans le sein, quand on pillerait tous nos biens, quand on mettrait le feu à notre maison. Il a plus : nous n’attendons pas que d’autres nous causent ces maux, nous nous les faisons nous-mêmes. II ne nous coûte rien de nous piquer, de nous frapper ; de nous étendre honteusement et à plat ventre, de nous dépouiller de tout honneur et de toute estime ; nous n’avons pas même la précaution de cacher nos hontes, ni de permettre qu’ors les cache ; nous vivons en pleine turpitude, exposés aux rires et aux outrages de ceux qui nous voient ou qui nous approchent. Car ignorez-vous que les gens pervers eux-mêmes se moquent de ceux qui leur ressemblent, les condamnent ? Dieu nous a donné, en effet, la raison, juge ferme et incorruptible, même en ceux qui sont tombés dans les derniers bas-fonds du vice ; c’est pourquoi les méchants se condamnent eux-mêmes ; et si par hasard on les appelle du nom trop honteux qu’ils méritent, on les voit rougir, sentir l’outrage, et prétendre qu’on les insulte. Ainsi, même chez eux, les : paroles, sinon les actes, condamnent leur conduite au tribunal de leur conscience ; je dirai même que leurs actes en font l’aveu : rien qu’en se couvrant de ténèbres et de secret pour faire le mal, ils montrent clairement ce qu’ils pensent de leur triste vie.
C’est que le vice, en effet, est si manifestement condamnable, que tous, même ceux qui s’y livrent, en sont les accusateurs. La vertu, au contraire, est un bien si noble, que ceux-là même l’admirent, qui n’ont pas le cœur de la pratiquer. Le libertin fera l’éloge de la chasteté ; l’avare condamnera l’injustice ; l’homme colère admirera la patience, et blâmera comme un, vice le ressentiment ; le débauché condamne la débauche. – Mais, dira-t-on, comment expliquer qu’on s’abandonne au vice ? – Par excès de lâcheté, mais toujours avec la pensée qu’on ne suit pas la bonne voie. Autrement on ne rougirait pas de son œuvre, on ne la désavouerait pas, quand un autre vous accuse. N’a-t-on pas vu de ces esclaves du crime, ne pouvoir supporter le déshonneur, et se suicider ? tant est profond en nous ce témoignage intime du bon et de l’honnête ! tant le bien moral est plus brillant que le soleil, tandis que son contraire est tout ce qu’il y a de plus repoussant !
2. Les saints étaient des passants et des étrangers : comment cela ? En quel endroit Abraham fait-il cet aveu ? Il a dû le faire, si l’on en juge par sa vie. Mais David l’a exprimé formellement pour lui ; écoutez-le : « Je suis un passager et un étranger, comme tous mes pères ». (Ps. 38,13) Au reste ces patriarches qui habitaient sous des tentes, qui achetaient jusqu’à leur sépulcre, étaient bien des hôtes et des étrangers, n’ayant pas même un lieu pour ensevelir leur famille. Mais quoi ! se disaient-ils étrangers pour la Palestine seulement ? Non, mais aussi pour le monde entier. Et c’était vrai : car ils ne voyaient, sur toute la terre, rien de ce qu’ils désiraient, mais rien que des objets absolument étrangers à leurs yeux. Ils voulaient, eux, pratiquer la vertu ; ils ne trouvaient dans ce monde que le vice partout régnant. Tout ici-bas leur paraissait étranger et inconnu. Point d’amis ; point d’alliés, à part quelques parents.
Comment encore étaient-ils les hôtes et non les habitants du siècle ? C’est qu’ils n’avaient aucun souci des choses d’ici-bas, et qu’ils montraient par leurs paroles et leurs actions ce détachement parfait. Par exemple, Dieu dit à Abraham : Abandonne cette terre qui semble être ton pays, et viens dans un pays étranger (Gen. 12,1) ; et lui, sans donner le baiser d’adieu à ceux de sa famille qu’il laissait, quitte sa patrie comme s’il allait quitter une terre étrangère. Dieu lui dit : Immole-moi ton fils (Gen. 22,2), et il l’offrit comme s’il n’avait pas eu de fils, et il en fit l’oblation, comme si lui-même n’avait pas été revêtu de notre nature. Sa bourse appartenait à ceux qui s’approchaient de lui ; la fortune était pour lui comme rien ; il cédait aux autres la première place ; se jetait lui-même dans les dangers, souffrait des maux infinis il ne bâtissait pas des maisons splendides, ne cherchait pas les délices, n’avait aucun souci du vêtement ni de toutes les vanités du siècle. Mais il faisait tout pour la cité d’en haut. On le voyait pratiquer l’hospitalité, l’amour de ses frères, l’aumône, la patience, le mépris des richesses, de la gloire et de toutes les choses présentes. Son fils partageait ses vertus : poursuivi, attaqué à main armée, il cédait, il abandonnait la contrée, s’y regardant comme sur la terre d’autrui ; car les étrangers souffrent tout, comme n’étant point du pays. Lui ravissait-on son épouse ? Il supportait cette injure, comme étranger encore il réservait son ardeur pour toutes les choses célestes, déployant à chaque heure la modération, le respect de lui-même, la continence. Devenu père, en effet, il cessa de voir son épouse, qu’il avait choisie, d’ailleurs, lorsqu’il n’avait déjà plus la vigueur de la jeunesse, montrant ainsi qu’en contractant mariage, il avait obéi, non pas à la passion, mais au désir de servir à la promesse de Dieu.
Que dirons-nous de Jacob ? ne demandait-il pas uniquement le pain et le vêtement, qui sont bien le nécessaire des passants pauvres, des plus pauvres même parmi eux ? Poursuivi et persécuté, ne cédait-il pas ? Ne fut-il pas nécessaire ? Ne souffrit-il pas à l’infini dans sa pérégrination vagabonde ? Par cette résignation à souffrir, les patriarches montraient assez qu’ils cherchaient une autre patrie. Mais, ô ciel ! Quel triste contraste ! Ils étaient comme la mère qui enfante dans la douleur, désireux de partir d’ici et de revenir à leur vraie patrie ; et nous, air contraire, à la première fièvre, oubliant tout, éplorés commodes petits enfants, nous craignons la mort, et nous méritons vraiment d’être ainsi faibles et lâches. En effet, bien loin de vivre ici comme les hôtes d’un jour, bien loin de nous hâter comme marchant à la patrie ; nous avons l’air d’aller au supplice, nous sommes dans la douleur, parce que nous n’avons pas usé