Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/577

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un lieu où reposer sa tête ». (Mt. 8,20) Qu’ai-je dit : Pas de retraite ? Ils n’avaient pas même une halte ici-bas. En vain s’étaient-ils réfugiés dans la solitude, ils n’y trouvaient point de repos. Car l’apôtre ne dit pas : Ils séjournaient dans la solitude ; non, mais, arrivés là, ils fuyaient encore ; ils se voyaient chassés de ces lieux, et non seulement de tout pays habité, mais même des contrées inhabitables ; et l’apôtre rappelle les lieux où ils passèrent, en même temps que les événements qui vinrent les y poursuivre. – « Privés de tout, affligés ». On vous accuse pour Jésus-Christ, dit l’apôtre ; Élie le fut comme vous. Quel grief avait-on contre lui pour l’accuser, le bannir, le poursuivre, le réduire à combattre avec la faim ? Les Hébreux souffraient précisément alors des tribulations de même genre, comme il est raconté ailleurs : « Les disciples résolurent d’envoyer des aumônes à ceux de leurs frères qui étaient affligés. Ils statuèrent que chacun, selon son pouvoir, enverrait pour aider l’es frères qui habitaient en Judée, en prenant sur leur propre nécessaire ». (Act. 11,29) « Affligés », ajoute-t-il, c’est-à-dire maltraités, condamnés à de rudes voyages, exposés à maints périls. – « Ils étaient vagabonds » : En quel sens ? Il l’explique : « Errant dans les déserts, « les montagnes, les cavernes et les antres de la « terre ». Semblables, dit-il, à des fugitifs et des émigrants, à des contumaces convaincus de crimes abominables, indignes même de voir le soleil ; et la solitude ne leur procurait point un refuge, mais il leur fallait chercher toujours de nouvelles cachettes, s’enfouir dans la terre, vivre dans une crainte perpétuelle.
« Cependant toutes ces personnes à qui l’Écriture rend un témoignage si avantageux à cause de leur foi, n’ont point reçu la récompense promise, Dieu ayant voulu, par une faveur particulière, qu’ils ne reçussent qu’avec nous l’accomplissement de leur bonheur (39, 40) ». Quelle est donc la récompense d’une foi si grande ? Quel en sera le prix ? Il sera tel qu’aucun discours ne saurait l’exprimer. Car Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment une félicité que l’œil n’a point vue, que l’oreille n’a point entendue, que le cœur de l’homme ne pourrait comprendre.
« Mais ils ne l’ont pas encore reçue » ; ainsi ils l’attendent encore, après être morts dans des tribulations si douloureuses. Depuis tant d’années qu’ils ont cessé de vivre, ils n’ont pas encore reçu ; et vous seriez affligés de ne pas recevoir déjà, vous qui combattez encore ? Représentez-vous cette position étonnante d’Abraham et de Paul, attendant la consommation de votre bonheur pour recevoir alors leur pleine récompense. Car le Sauveur leur a dit qu’ils ne l’auraient pas, sales que nous soyons là pour la recevoir avec eux, comme un père dit à ses enfants qui ont fini leur travail, qu’ils ne se mettront pas à table avant que leurs frères soient venus. Et toi, tu t’affliges de n’avoir pas encore touché ton salaire ? Que fera donc Abel qui a vaincu avant nous et n’a pas reçu la couronne ? Que fera Noé, qui a vécu dans ces temps lointains, et qui t’attend, toi et ceux qui viendront après toi ? Vois-tu bien que nous leur sommes préférés et que notre condition est plus heureuse que la leur ? Dieu, dit saint Paul, a prévu et préparé pour nous un sort meilleur. Pour qu’ils ne parussent pas, cri effet, de meilleure condition que nous-mêmes, s’ils avaient été couronnés les premiers, Dieu a déterminé une époque où nous serons couronnés tous ensemble. Le héros vainqueur tant d’années avant toi, reçoit avec toi la couronne. Admire sa sollicitude et sa bonté. L’apôtre ne dit pas : Afin qu’ils ne fussent pas couronnés sans nous ; mais : « Afin qu’ils ne reçussent pas sans nous la consommation de leur bonheur ». Ils ne la recevront qu’alors. Ils nous ont précédés au combat, ils ne nous ont pas devancés pour les couronnes. Dieu ne leur a fait aucun tort, et il nous fait un grand honneur. Pour eux, ils nous attendent comme des frères. Si – nous ne sommes tous qu’un seul corps, il y a pour ce corps plus de plaisir à être couronné ensemble que par parties. En ce point même les justes sont admirables de se réjouir du bonheur de leurs frères comme s’il leur était propre. C’est donc encore un désir de leur âme qui se réalise, que d’être ainsi couronnés avec leurs membres. Être ainsi tous ensemble glorifiés, c’est un plaisir ineffable[1].
2. « Puis donc que nous sommes environnés d’une si grande nuée de témoins ». (12, 1) L’Écriture, souvent, emprunte des motifs de consolation aux accidents mêmes et aux peines qui nous arrivent. Ainsi on lit dans le prophète Isaïe : « Il vous délivrera de la chaleur, de la sécheresse et des pluies violentes ». (Is. 4,6) Et dans le roi David : « Le soleil ne vous fatiguera pas pendant le jour, ni la lune pendant la nuit ». (Ps. 120,6) C’est ce que dit ici saint Paul : « Ayant donc sur nos têtes une si grande nuée de témoins ». Le souvenir de tous ces saints, comparable à un nuage qui donnerait de l’ombre au voyageur exposé, brûlé par un soleil trop ardent, soulage et ranime une âme fatiguée. Et l’apôtre ne dit pas : Un nuage élevé bien haut et loin de nos têtes, mais au contraire, « posé sur nous » ; ce qui est bien autrement agréable, et qui doit, selon lui,

  1. Après avoir donné de nombreux exemples de la puissance de la foi sous l’Ancien Testament, l’apôtre pour conclusion fait voir en quelques mots comment cette vertu néanmoins était encore quelque chose de borné, et jusqu’à quel point la vertu de la foi dans les temps chrétiens lui est supérieure. Tous ces saints personnages, dit-il, ont bien, en vertu de leur foi, obtenu leur justification, mais ils n’ont pas été mis en possession de l’objet des promesses faites à leur foi dans son sens le plus élevé, parce que Dieu avait décrété que l’objet des promesses, dans son sens le plus élevé, le bien le plus excellent, à savoir le royaume du ciel, ne commencerait que plus tard, et qu’il serait également notre partage, afin que tous, nous ici-bas, eux dans l’autre vie, nous puissions y entrer, et parvenir enfin tous ensemble à la consommation. Il faut ici prendre la promesse dans son objet le plus élevé, le royaume du ciel, dans toute l’étendue de son acception, depuis son commencement en ce monde jusqu’à sa consommation au jour de la consommation et du jugement. La consommation n’aura lieu qu’en ce jour, parce que ce ne sera qu’alors que s’effectuera la rédemption du corps (Augustin, Jérôme, Chrysostome). Du reste l’apôtre a déjà dit ci-dessus (9, 8) que tant qu’a subsisté l’ancienne alliance, et que Jésus-Christ n’a point eu consommé son sacrifice, le ciel était fermé ; d’où il suit que les anciens patriarches avaient été, il est vrai, justifiés, mais qu’ils ne pouvaient encore jouir du fruit de la justification ; il a fallu qu’ils attendissent le sacrifice de Jésus-Christ afin d’entrer ensuite avec lui dans le ciel. (J. F. D’Allioli).