Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’osera bien plus encore pour un sujet important. Aussi, nous-mêmes, quand nous voyons les saints aux prises avec le péril, ne ménageons pas même notre vie. Celui qui n’a jamais le cœur d’expérimenter le danger, ne sera jamais non plus capable d’une grande action ; toujours préoccupé du salut de la vie présente, il perd le salut de la vie à venir.
« Afin de suppléer par son assistance à celle que vous ne pouviez me rendre vous-mêmes ». Que dit l’apôtre ? Votre cité n’était pas là, mais, par l’intermédiaire de son député, elle a rempli pour moi tous ses devoirs d’assistance. Il vous a suffi de l’envoyer, pour que votre secours qui me manquait, me fût prodigué par ce bien-aimé mandataire qui, pour cette raison, mérite tout l’honneur possible ; ce que tous vous me deviez, il l’a payé pour tous. L’apôtre montre aussi que le premier devoir des fidèles, qui sont en sûreté, est de venir en aide à ceux qui sont en péril ; c’est ce qu’indique l’expression qu’il emploie : « Le retard de l’assistance qui m’était due », dit-il.
Saisissez-vous bien l’intention de Paul, l’esprit d’un apôtre ? Cette liberté de parole ne provenait pas, chez lui, de l’orgueil, mais du grand intérêt qu’il portait aux fidèles. Craignant que ces néophytes ne viennent à s’enfler, voulant qu’ils gardent la sainte modération de l’esprit, et que loin de surfaire un service rendu, ils gardent d’humbles sentiments ; il appelle le service rendu un ministère obligé, un secours qui manquait. Prenons garde nous aussi de nous enorgueillir quand nous aidons les saints, et n’allons pas nous poser en bienfaiteurs devant nos propres yeux. Nous payons une dette, nous ne faisons pas une donation. Comme l’armée active, et surtout le soldat en campagne, doit recevoir du citoyen qui vit en paix, les aliments et tout le nécessaire ; car c’est pour celui-ci que l’autre est sous les armes : ainsi, dans le cas présent. Si Paul n’avait pas rempli sa charge apostolique, l’aurait-on jeté en prison ? Ainsi c’est un devoir que d’aider les saints. Quelle absurdité serait-ce d’approvisionner entièrement ceux qui protègent un empire de la terre, de leur fournir aliments, vêtements, le nécessaire enfin, et même bien au-delà du besoin, tandis qu’à celui qui combat pour l’empereur du ciel, qui livre bataille contre des ennemis bien plus dangereux, [car saint Paul dit que nous ne luttons pas seulement contre la chair et le sang (Eph. 8,12), nous n’accorderions pas l’indispensable nécessaire de chaque jour ? Quelle iniquité serait-ce ! Quelle ingratitude ! Quelle avarice !
4. Ne semble-t-il pas que la crainte des hommes l’emporte chez nous sur les terreurs de l’enfer et des supplices éternels ? On ne peut expliquer autrement ce renversement de nos idées et de notre conduite : ainsi nos obligations civiles s’accomplissent chaque jour comme d’elles-mêmes et avec un soin scrupuleux qui n’en voudrait négliger aucune ; tandis que les obligations spirituelles n’entrent point chez nous en ligne de compte. Faut-il donc que des devoirs imposés par la nécessité et par la crainte des châtiments, exigés de nous comme d’esclaves contraints et forcés, soient cependant acquittés avec un extrême empressement, tandis qu’on oublie entièrement ceux qu’on nous réclame en s’adressant uniquement à notre liberté et à notre générosité ? Ce reproche, s’il n’atteint pas la généralité des fidèles, s’adresse à ceux qui ne veulent point acquitter ces dettes sacrées. Dieu ne pouvait-il pas vous en faire la loi la plus rigoureuse ? Il ne l’a pas voulu, parce que votre intérêt lui est plus cher encore que celui des saints, objets de votre charité. Dieu ne veut pas que vous obéissiez à la nécessité, parce qu’une telle obéissance n’aurait rien à espérer de lui.
Toutefois il en est ici, et beaucoup, qui sont plus bas et plus vils que les Juifs. Rappelez-vous les dîmes et les prémices, les secondes dîmes et même les troisièmes, le sicle, tout ce que donnait enfin ce peuple, sans se plaindre jamais de ce que lui coûtait l’entretien des prêtres. Plus ils recevaient, plus il était rendu à ceux qui donnaient. On ne disait pas : Ces gens sont insatiables, esclaves de leur ventre ! Car il me revient de ces propos indignes, et ceux qui les tiennent savent pourtant se bâtir des maisons et acheter des terres, tout en se prétendant pauvres, tandis qu’ils taxeront de riche un prêtre qui, par hasard, ou sera un peu mieux vêtu, ou ne manquera pas des aliments nécessaires, ou se fera servir par un domestique pour ne pas abdiquer sa dignité. Riches, nous ! oui nous le sommes en vérité, et nos détracteurs sont bien forcés d’en convenir. Si peu que nous possédions, en effet, nous sommes dans l’abondance ; tandis que, possesseurs du monde entier, ils auraient encore des besoins.
Jusques