Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/476

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nous aurions à supporter mille et mille calamités, nous pouvons, en contemplant Lazare, nous procurer quelque consolation et quelque encouragement. Rencontrer, dans un récit ou dans la réalité, des hommes qui ont partagé nos misères, c’est trouver déjà un vrai soulagement. Mais Lazare ne pouvait voir personne qui souffrît des douleurs pareilles aux siennes, ni même savoir qu’aucun de ses devanciers les eût jamais endurées : c’en était assez pour assombrir son âme. J’ajouterai encore qu’il ne pouvait avoir l’idée de la résurrection ; il croyait que la vie présente était la mesure unique des événements présents ; car il était du nombre de ceux qui précédèrent les temps de la Grâce. Si, après avoir acquis la connaissance des révélations divines, des magnifiques espérances de la résurrection, des supplices réservés là-bas aux pécheurs, des joies promises aux justes, si maintenant encore nous laissons parfois abattre nos cœurs si misérablement, qu’aucune de ces grandes pensées ne parvient à les relever ; que devons-nous penser qu’ait eu à souffrir Lazare, qui ne possédait pas cette ancre de salut pour affermir son courage. Il ne pouvait faire aucun de ces raisonnements, parce que le temps des dogmes évangéliques n’était pas encore venu. Ce n’est pas tout encore : son nom était devenu la risée des insensés.
Le commun des hommes, en voyant certains de leurs semblables voués à perpétuité à la faim, à la maladie, à l’extrême misère, a coutume de concevoir d’eux une mauvaise opinion, de juger de leur vie par les maux qu’ils endurent, de penser qu’ils ne sont affligés qu’à cause de leurs péchés. On dit des paroles comme celles-ci (sottes paroles, j’en conviens ; mais on ne les dit pas moins),: « Si un tel était aimé de Dieu, Dieu n’aurait pas permis qu’il tombât dans la pauvreté et dans d’autres maux semblables. » Voilà ce qui arriva à Job et à saint Paul. Au premier, on disait : Est-ce qu’on ne vous a pas parlé souvent dans l’affliction ? Et qui supportera la violence de vos réponses ? Est-ce que vous avez sagement instruit les autres, est-ce que vous avez soutenu les bras fatigués, est-ce que vous avez relevé par vos exhortations ceux qui sont affaiblis, est-ce que vous avez rendu la force aux genoux de ceux qui n’en peuvent plus ?. Et maintenant la peine tombe sur vous : c’est vous qui l’avez cherchée. Votre crainte n’est-elle pas sottise [1] ? (Job. 4, 2-6) Voici le sens de ces paroles : « Si vous aviez fait quelque chose de bon, vous n’auriez pas tant à souffrir ; c’est le châtiment de vos fautes et de vos péchés que vous portez aujourd’hui. » Ce reproche déchirait le cœur du patriarche plus douloureusement que tout autre. Pour saint Paul, des barbares firent le même raisonnement ; en voyant une vipère le mordre et rester suspendue à sa main, ils le regardèrent comme un scélérat, coupable des derniers forfaits : cela est évident d’après leurs discours. Celui-ci, disent-ils \it, a échappé aux flots, mais la Justice ne veut pas le laisser vivre. (Act. 28, 4) Et ce fait nous a souvent troublés nous-mêmes plus que de raison. Mais (pour en revenir à Lazare), bien que sa pauvre nacelle fût assaillie par tant de flots amoncelés les uns sur les autres, il ne la laissa pas submerger : mais, couché en quelque sorte dans une fournaise ardente, il se rafraîchissait dans la sagesse véritable, comme dans les ondées continuelles d’une rosée mystérieuse.
11. Il ne raisonnait pas en lui-même comme fait habituellement le vulgaire ; il ne disait pas : « Si ce riche, une fois mort, est puni et châtié dans l’autre monde, un fait un ; mais s’il doit jouir là-bas des mêmes avantages qu’ici, un et un font zéro. » Est-ce que la plupart d’entre vous ne colportent pas de place en place des propos de ce genre, propos de cirque et de théâtre de barrières, que vous introduisez jusque dans l’église ? Je rougis, j’ai honte d’avoir à les proférer parmi vous : et pourtant, je dois les dire pour vous corriger de ces habitudes de plaisanteries imbéciles, et vous guérir de la honte et du péché qui en résultent. Il arrive souvent qu’on tient ces propos par manière de rire : d’accord ! mais c’est une ruse diabolique que de glisser dans nos habitudes de vie certains dogmes pernicieux, sous le couvert de paroles plaisantes. Ces paroles, la foule les promène perpétuellement dans les boutiques, sur le forum et jusque dans l’intérieur des maisons c’est de la dernière impiété, c’est manquer au bon sens ; c’est ridicule et sottement puéril. Demander si les méchants, une fois morts, seront punis ; hésiter à croire fermement qu’ils recevront toute la peine due à leurs vices, c’est le fait d’un sceptique, d’un mécréant ; s’imaginer

  1. Il y a une différence considérable entre ce texte, rapporté par saint Jean Chrysostome, et ce même texte traduit par la Vulgate.