Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/496

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poignants, à l’instant il s’arrêtera pour ne pas perdre son temps à des embûches inutiles. Il ressemble au chien qui se tient près de la table où il voit son maître manger ; lui jette-t-on quelques débris des mets qui sont servis, il fait bonne garde et ne bouge pas ; si au contraire il est venu à deux ou trois reprises s’installer là sans pouvoir, rien happer, il s’en va et ne revient plus ; ainsi fait le démon qui vous guette avec une infatigable avidité ; si vous lui jetez un blasphème comme un os à un chien, il s’en empare et il revient à la charge ; si vous persévérez dans votre prière, vous le faites en quelque sorte périr de faim, vous le chassez, vous le forcez à fuir lestement. – Mais vous ne pouvez vous taire sous l’aiguillon de la douleur ! Eh bien, ni moi non plus, je ne vous défends pas de parler : je veux seulement qu’au lieu de parler pour blasphémer, vous parliez pour prier, qu’au lieu de paroles de colère vous prononciez des paroles de louanges. Confessez-vous au Maître ; criez bien haut pour le supplier ; criez bien haut pour le glorifier : voilà le vrai moyen d’alléger vos souffrances, puisque d’une part vous repoussez le démon qui vous attaque, et que de l’autre vous obtenez que Dieu vous secoure. Au contraire, en blasphémant, vous repoussez l’alliance que Dieu vous offre, vous rendez le démon plus acharné contre vous, vous vous embarrassez de plus en plus dans le filet de la douleur ; en priant, vous renversez les détestables pièges du démon et vous méritez que la bonté divine vous guérisse.
Mais, dites-vous, c’est la force de l’habitude ! souvent la langue s’emporte, à l’étourdie, jusqu’à proférer un malheureux mot. – Eh bien ! au moment où elle s’emporte, mordez-la à pleines dents : il vaut mieux pour elle qu’elle saigne à flots que d’être un jour réduite à convoiter une goutte d’eau sans pouvoir obtenir ce maigre rafraîchissement ; il vaut mieux pour elle souffrir une douleur passagère que d’être un jour victime d’un supplice incessant et immortel, comme la langue du riche brûlée par des ardeurs qu’il lui était interdit d’apaiser. Dieu vous a ordonné d’aimer vos ennemis, et vous vous détournez de ce Dieu qui vous aime ! Dieu vous a ordonné d’être affable envers ceux qui vous injurient, de bénir ceux qui vous maudissent ; et, sans avoir à vous plaindre d’aucune injustice, vous maudissez ce Dieu qui vous bénit et vous protège ! – Dieu n’aurait-il pu nous délivrer de cette tentation ? – Si, mais il l’a permise afin de vous éprouver davantage. – Mais, dites-vous, je suis à bout de forces, je succombe ! – Si vous succombez, ce n’est pas à cause de la nature même de la tentation, c’est à cause de votre lâcheté. Dites-moi, lequel est plus facile de blasphémer ou de prier ? et lequel est plus utile ? Est-ce que l’un ne vous fait pas des adversaires et des ennemis de tous ceux qui l’entendent en jetant l’aigreur dans leur âme ? Est-ce que l’autre ne vous gagne pas les mille couronnes de la vraie sagesse, l’admiration et les applaudissements universels, enfin les magnifiques récompenses du Seigneur ? Pourquoi donc laissez-vous de côté ce qui est utile, ce qui est facile, ce qui est aimable pour vous habituer à ce qui blesse, à ce qui irrite, à ce qui ruine ? D’ailleurs si la véritable cause des blasphèmes se trouvait dans l’affliction qu’occasionnent la pauvreté et les souffrances, nécessairement tous les pauvres seraient des blasphémateurs ; or, aujourd’hui, un grand nombre de ceux qui vivent dans la dernière misère rendent à Dieu de perpétuelles actions de grâces, tandis que d’autres qui vivent dans l’opulence et la volupté vomissent de perpétuels blasphèmes. Non ! ce n’est pas la nature ni la force des choses qui font l’un et l’autre, c’est notre libre volonté.
Pour quel motif avons-nous expliqué cette parabole ? Pour vous faire bien comprendre que la richesse n’est d’aucun secours à l’homme lâche, et que la misère ne peut nuire à l’homme énergique. Que dis-je, la pauvreté ? Tous les maux, connus parmi les hommes, se ligueraient ensemble qu’ils n’ébranleraient pas le cœur dévoué à Dieu et à la sagesse divine, qu’ils ne l’amèneraient jamais à renier la vertu. J’en ai pour témoin Lazare. Au contraire, l’âme fiasque et dissolue ne trouvera force et appui ni dans la richesse, ni dans la santé, ni dans la prospérité la plus inaltérable.
8. Ne me dites donc pas que la pauvreté, la maladie, les dangers imprévus vous poussent au blasphème. Non ! Ce n’est pas la pauvreté, c’est votre sottise ; ce n’est pas la maladie, c’est votre mépris de la loi ; ce n’est pas le péril, c’est votre manque de piété qui conduit votre insouciance au blasphème et à tous les vices.
Mais, dira-t-on, pour quelle raison les uns sont-ils punis en ce monde, les autres dans l’éternité ? Pourquoi les uns et les autres ne sont-ils pas punis ici-bas ? – Pourquoi ? – Parce que, s’il en était ainsi, nous péririons