Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/505

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les pardonner ; non pour apprendre de vous que vous êtes coupable, puisqu’il le sait par lui-même, mais pour que vous appreniez quelle dette il vous remet. Il veut que vous connaissiez la grandeur du bienfait qu’il vous accorde, afin que vous ne cessiez de lui en rendre grâce, afin que vous soyez plus lent à commettre le péché, et plus ardent à pratiquer la vertu. Si vous ne déclarez pas la grandeur de la dette, vous ne reconnaîtrez pas tout le prix de la rémission. Je ne vous force pas, dit-il, de paraître en plein théâtre et de prendre un grand nombre de témoins. Confessez votre faute à moi seul en particulier, afin que je guérisse votre plaie et que je vous délivre de vos douleurs[1].
Voilà pourquoi Dieu nous a donné les remords de la conscience, en cela plus attentif que le plus tendre des pères. Lorsqu’un père a averti son fils plusieurs fois, et qu’il reste incorrigible, il cesse enfin de l’avertir, le renonce pour son fils, le chasse de sa maison, et le retranche de sa parenté. Il n’en est pas de même de la conscience. Quand elle nous aurait avertis mille fois sans que nous l’ayons écoutée, elle nous avertit toujours, et ne cesse pas jusqu’à notre dernier soupir. Elle nous fait entendre sa voix dans les maisons, dans les carrefours, à table, dans la place publique, dans les chemins : souvent même, pendant le sommeil, elle nous présente le tableau et l’image de nos crimes.
5. Et voyez la sagesse de Dieu ! Il n’a point permis que les reproches de la conscience fussent continuels, parce que nous n’aurions pu en supporter le poids, si elle nous eût accusés continuellement ; d’un autre côté, il n’a point voulu qu’elle fût assez faible pour se lasser après une ou deux réprimandes. En effet, si elle eût dû nous tourmenter chaque jour et à chaque heure, nous aurions succombé sous l’excès de la peine ; ou si, après nous avoir avertis une ou deux fois, elle eût cessé de nous reprendre, nous n’en aurions pas retiré un grand fruit. Voilà pourquoi Dieu a voulu que ses reproches fussent fréquents, mais non continuels : fréquents, pour que nous ne tombions pas dans le relâchement, mais pour qu’avertis toujours et jusqu’à la fin, nous soyons éveillés et attentifs ; il n’a point voulu qu’ils fussent continuels et qu’ils vinssent coup sur coup, pour que nous ne soyons pas découragés, mais que nous respirions dans des moments de relâche et de repos. Car, si ne s’affliger aucunement de ses fautes, est quelque chose de funeste et qui produit une insensibilité extrême, s’affliger continuellement et outre mesure, n’est guère moins nuisible, parce que l’excès de l’affliction étouffe en nous les sentiments naturels, accable l’âme, l’atterre, la rend incapable de produire de bonnes actions.
Voilà pourquoi Dieu ne permet à la conscience de nous poursuivre et de nous accuser que par intervalles, d’autant plus qu’elle n’épargne point le coupable, et qu’il n’est point pour lui d’aiguillon plus cuisant. Ce n’est pas seulement lorsque nous péchons nous-mêmes, mais lorsque d’autres commettent les mêmes fautes, qu’elle se réveille, qu’elle s’élève contre nous avec force. Un débauché, un adultère, un voleur, prennent pour eux-mêmes les reproches qu’ils entendent faire à d’autres qui se sont livrés aux mêmes excès ; et des réprimandes étrangères leur remettent sous les yeux leurs fautes personnelles ; c’est un autre qu’on accuse, et celui qui n’est pas accusé sent le même coup lorsqu’il a commis le même attentat. Il en est de même pour les bonnes actions, ceux qui ont bien agi eux-mêmes se réjouissent et triomphent des louanges et des couronnes accordées à d’autres, comme s’ils étaient loués eux-mêmes et couronnés. Qu’y a-t-il donc de plus misérable que le pécheur qui est humilié des reproches qu’on fait à d’autres ? Quoi de plus heureux que celui qui pratique la vertu, puisque la joie épanouit son âme lorsqu’on donne à d’autres des éloges, éloges qui lui rappellent le doux souvenir de ses bonnes actions ? C’est donc un effet de la sagesse de Dieu, une preuve non équivoque de sa providence attentive, de nous avoir préparé dans les remords de la conscience une ancre sacrée qui nous arrête, et qui empêche que notre âme ne se plonge sans ressource dans l’abîme du péché.
Ce n’est pas seulement dans l’instant où nous péchons, mais bien des années après, qu’elle nous rappelle souvent nos anciennes fautes. Joseph fut vendu autrefois par ses frères, qui n’avaient à lui reprocher que d’avoir eu un songe qui présageait sa gloire future : J’ai vu, dit-il, vos gerbes gui se prosternaient devant ma gerbe. (Gen. 37, 7) Cependant ils auraient dû le conserver pour cette raison-là même, parce qu’il devait être

  1. Voyez tome Ier, page 224.