Aller au contenu

Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 6, 1865.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

celui qui retranche de son superflu pour donner, ou celui qui épuise ses ressources. Il est clair que c’est celui qui épuise ses ressources, celui qui n’épargne rien pour son œuvre. C’est ce que Paul demande, lorsqu’il dit : « Celui qui sème dans les bénédictions, moissonnera aussi dans les bénédictions. » (2Cor. 9,6) Voyez la justesse des termes employés par le Prophète. Il ne dit pas, a distribué, a répandu, mais « a dissipé », indiquant par là en même temps et la prodigalité de celui qui donne, et le rapport de son œuvre avec l’action de semer. Les semeurs pareillement dissipent ce qu’ils ont en réserve, et sacrifient un bien présent pour un bénéfice futur. Cela vaut mieux que d’amasser : on gagne moins à entasser qu’à prodiguer – de la sorte.. On dissipe de l’argent et on récolte de la justice ; on dissipe des biens qui passent afin de se procurer les biens qui durent : ainsi font les cultivateurs. Seulement, les cultivateurs travaillent pour un profit incertain, car c’est la terre qui reçoit leurs graines : vous, au contraire, vous semez dans la main de Dieu, de façon que vous ne sauriez rien perdre. Ainsi quand vous trouverez que l’or est une belle chose, et que vous hésiterez à vous en défaire, songez aux semeurs, songez aux prêteurs, songez aux marchands, qui tous commencent par faire des frais et des dépenses ; et encore leur placement est-il chanceux, car les flots, le sein de la terre, les créances, tout cela est incertain. – Il arrive souvent que celui qui a prêté perd jusqu’à son capital : mais celui qui ensemence le ciel n’a rien à craindre de semblable ; il peut être rassuré et sur son capital et sur ses intérêts, s’il est permis d’appeler de ce nom ce qui dépasse le capital de beaucoup. Car le capital, c’est l’argent ; les intérêts ici, c’est le royaume des cieux. Voyez-vous ce placement qui rapporte des intérêts supérieurs au capital ? Voilà pour l’avenir ; quant au présent, vous y jouirez d’une liberté complète. Vous serez à l’abri des complots ; vous éteindrez la convoitise des sycophantes et des fourbes ; vous passerez votre vie entière dans la sécurité ; car, au lieu d’être torturé par les soucis au sujet de vos biens actuels, l’espérance vous donnera des ailes pour vous élever jusqu’aux choses futures. « Sa gloire sera exaltée. » Il revient souvent sur cette idée si chère aux hommes, de la gloire et des honneurs : la gloire attend les justes là-haut ; et ici-bas même elle leur sera libéralement octroyée. Car il n’y a personne d’aussi glorieux, d’aussi illustre, que l’homme miséricordieux.
6. Considérez, si vous le voulez, ceux qui prodiguent inutilement leur argent dans les théâtres et les hippodromes ; amenez au milieu d’eux celui qui fait l’aumône, et vous verrez alors ce que rapportent à chacun ses dépenses. L’homme charitable, on ne cesse de lui applaudir unanimement, de l’admirer, de voir en lui un père commun, un refuge ouvert à tous ; l’autre, quand on lui a prodigué pendant un jour des applaudissements excessifs et tumultueux, on le décrie ensuite comme un homme sans cœur, sans humanité, un vaniteux, un instrument de libertinage, un ministre de corruption. Dans les entretiens qui peuvent avoir lieu à ce sujet, on flétrit, on condamne les dépenses de l’un ; l’autre, au contraire, il n’est pas d’homme assez impudent, assez pervers, assez inhumain, pour lui marchander ses éloges et son admiration. C’est en effet le propre de la vertu que d’obtenir les hommages de ceux mêmes qui ne la pratiquent pas ; tandis que le vice est un objet d’horreur et de blâme, même pour ceux qui s’y adonnent. D’où il suit que ceux qui prodiguent leur argent en folles dépenses ne reçoivent pas même les éloges de ceux qu’ils enrichissent comme les prostituées, les conducteurs de chars, les danseurs, et sont même décriés par eux ; l’homme charitable, au contraire, est célébré non seulement par les pauvres qu’il secourt, mais encore par ceux mêmes qui ne profitent point de ses largesses. Tous l’admirent et l’ont en affection. « Le pécheur le verra, et il en sera irrité ; il grincera des dents et séchera de dépit (10). » La vertu est, en effet, une chose incommode et importune au vice. De même que le feu consume les ronces, ainsi la bonté irrite les hommes cruels et inhumains : ils y voient, en effet, comme un reproche, un blâme à l’adresse de leur méchanceté. Mais considérez comment jusqu’au milieu du dépit qui le ronge, le pécheur n’ose rétorquer l’accusation ni regarder en face le visage serein de la vertu ; comment, dans la douleur qui dévore son âme et se manifeste au-dehors par des grincements de dents, il n’ose élever la voix, et reste en proie à une torture secrète.
Voilà ce que c’est que le, vice : même sur les degrés du trône, même aux côtés de ceux