ce qu’il possède. Le premier est riche par ce qu’il amasse ; le second, par ce qu’il dépense ; l’un ensemence la terre, l’autre cultive le ciel. Et, autant le ciel est au-dessus de la terre, culant l’opulence du second est plus solide que celle du premier. Le vrai riche a des amis en foule ; l’autre ne voit partout que des accusateurs ; et, chose admirable, le ravisseur, l’avare est détesté, non seulement de ceux qu’il a blessés ; il l’est en outre de ceux qui n’ont reçu de lui aucun mal, mais qui plaignent les victimes ; l’homme miséricordieux, au contraire, n’est pas aimé seulement de ceux qui ont éprouvé sa miséricorde ; ceux même qui ne l’ont point ressentie, le chérissent. C’est que la vertu vaut mieux que le vice, mes frères. Le vice a pour ennemis ceux même qui n’en ont point souffert ; l’aumône a pour amis ceux même qui n’en ressentent point les bienfaits. Tous s’écrient que Dieu le récompense, cet homme bienfaisant. Toi qui parles ainsi, quels biens as-tu reçus ? Ce n’est pas moi, mais mon frère ; ce n’est pas moi, mais un de ceux qui sont mes membres. Le bienfait à lui accordé, je te renarde comme mien. Voyez – vous quels trésors accompagnent la vertu ; comme elle est aimable, comme elle est désirable, comme elle est belle ! Le miséricordieux est un port ouvert à tous, un père pour tous ; c’est le bâton qui soutient les vieillards. Vienne le jour où quelques malheurs affligent le miséricordieux ; tous se mettent en prière, pour que Dieu le prenne en pitié, lui fasse (lu bien, lui conserve sa fortune. Considérez au contraire le ravisseur, voici ce que vous entendrez : Maudit, pervers, scélérat. Qu’avez-vous souffert ? Moi ? Rien, mais c’est mon frère. Et tous les jours, ce sont des clameurs et des cris sans nombre. Qu’il vienne à tomber, tous se ruent sur lui. Est-ce là une vie ? Est-ce là de l’opulence ? Cette condition n’est-elle pas pire que celle des condamnés ? Le condamné a des liens qui enchaînent son corps ; celui-ci se sent l’âme garrottée. Vous le voyez dans les fers et vous ne le prenez pas en pitié ? Je le hais parce que ce n’est pas la nécessité qui l’a mis dans les fers, mais sa volonté, c’est lui qui s’est mis à la chaîne.
4. Encore contre les riches ? me dira-t-on ; et vous, encore contre les pauvres ? encore à parler contre les ravisseurs ? et vous, encore contre ceux dont les biens sont ravis ? Vous ne vous rassasiez pas de manger, de dévorer les pauvres ; ni moi je ne me rassasie pas de vous corriger. Toujours acharné contre les riches ? toujours acharné contre les pauvres ? Éloigne-toi de mes brebis, éloigne-toi de mon troupeau ; n’y touche pas ; si tu y portes la main, me feras-tu un reproche de te chasser ? Si j’étais un berger qui garde des moutons, ne me reprocherais-tu pas de ménager le loup qui viendrait se jeter sur mon troupeau ? Les brebis dont je suis le pasteur ont en partage la raison, je ne m’arme pas de pierres contre toi, mais de la parole ; ou plutôt je ne m’arme pas contre toi, mais je t’appelle ; deviens une brebis, approche, viens faire partie de mon troupeau. Pourquoi veux-tu détruire la bergerie, toi qui devrais augmenter le troupeau ? Ce n’est pas toi que je poursuis, mais le loup ; si tu n’es pas un loup, je ne te poursuis pas : si tu es un loup, n’accuse que toi-même. Je ne suis pas contre les riches, mais pour les riches ; ce que je dis, c’est dans ton intérêt que je le dis, quoique tu ne me comprennes pas. Et comment parles-tu dans mon intérêt ? En t’affranchissant du péché, en te délivrant de la rapine, en faisant de toi celui que tous chérissent, celui que tous désirent. Je te répète toujours, as-tu été un ravisseur ? as-tu été un avare cupide ? viens, je te changerai. Les haines qui t’entourent, j’en ferai des amitiés, tes périls, je les changerai en sécurité. Voilà ce que je te donnerai pour la vie présente, et dans l’autre vie encore, je te donnerai le royaume du ciel, je te préserverai des éternels supplices, je te ferai obtenir les biens : « Que l’œil n’a pas vus, que l’oreille n’a pas entendus, que le cœur de l’homme n’a pas conçus. » (1Cor. 2,9) Est-ce là la conduite d’un ennemi qui chasse, ou d’un ami qui donne des conseils utiles ? Est-ce là de la haine ? N’est-ce pas plutôt de l’amour ? Mais, tu me hais ? Mais non, je ne te hais pas, je t’aime ; j’exécute le précepte de mon Dieu : « Aimez vos ennemis. » (Mt. 4,44) Je ne me retire pas de toi, mais je te guéris.
Notre-Seigneur était sur la croix et il disait : « Pardonnez-leur, mon Père, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc. 23,34) Est-ce toi que je poursuis ? C’est ton mal que je mets en fuite. Est-ce à toi que je fais la guerre ? Je ne la fais qu’à tes vices. Ne comprends-tu pas que c’est ton bien que je veux ; à toi, que je m’intéresse ; que je veux, avant tout, te protéger ?
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