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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 6, 1865.djvu/431

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de la concupiscence. Celle qui a causé ta blessure s’échappe souvent : mais la blessure ne s’échappe point : souvent elle subsiste pour ta perte. Pareille à la biche qu’un trait a percé d’un coup mortel, et qui désormais échapperait en vain aux mains des chasseurs, l’âme qu’a blessée le trait de la concupiscence, à la suite d’une contemplation curieuse et libertine, a beau être délivrée de l’arme qui l’a meurtrie : par elle-même, elle se consume et se tue, partout voyant l’ennemi, partout le traînant à sa suite. Mais il ne faut pas laisser s’égarer trop loin notre propos. Je disais donc que l’Écriture a coutume d’indiquer à la fois les péchés et leurs causes : or voyez ce que, en cet endroit même, elle dit au sujet d’Ozias. Non contente de nous avoir appris que son cœur s’enfla, elle nous révèle encore pourquoi il s’enfle. Pourquoi donc ? « Lorsqu’il fut devenu puissant », dit-elle, son cœur s’enfla. Il ne put résister à l’étendue de sa puissance : de même que l’excès de nourriture engendre l’échauffement, l’échauffement, la fièvre, et que la fièvre cause, souvent la mort : ainsi dans cette occasion, l’abondance des biens donna naissance à la présomption. En effet, ce qu’un échauffement est au corps, la présomption l’est à l’âme : et de la présomption naît le désir des choses qu’il ne faut point désirer.
5. Ce n’est point sans but que nous nous étendons sur ce sujet, c’est afin que vous ne jugiez jamais heureux, ni dignes d’envie, ceux qui sont au pouvoir, sachant à quel point une telle élévation est périlleuse ; c’est afin que vous ne regardiez jamais comme malheureux ceux qui vivent dans la peine et dans la pauvreté, sachant que c’est là qu’on trouve le plus de sûreté. C’est pourquoi le Prophète s’écriait : « C’est un bonheur pour moi, Seigneur, que tu m’aies humilié. » (Ps. 118,71) Voyez plutôt quelle infortune produisit une élévation : « Son cœur s’enfla au point de le corrompre », dit le texte. Qu’est-ce à dire : « Au point de le corrompre ? » Parmi les mauvaises pensées, les unes ne franchissent pas même le seuil de notre âme, si nous avons su la munir de bons remparts : d’autres, après qu’elles sont nées en nous, croissent, si nous n’y prenons garde, mais si nous savons prévenir leurs progrès, elles sont promptement étouffées et ensevelies. D’autres enfin naissent, grandissent, s’épanouissent en mauvaises actions, ruinent entièrement la santé de notre âme, dès que notre négligence a passé les bornes. De là ces mots « Son cœur fut enflé ; » et la présomption ne resta pas au dedans, elle ne s’éteignit point au contraire elle s’élança au-dehors, et produisit une action coupable qui ruina toute la vertu d’Ozias. Le bonheur suprême, c’est d’être absolument fermé aux pensées coupables : ce que le Prophète fait entendre en disant : « Seigneur, mon cœur ne s’est pas enflé. » (Ps. 130,1) II ne dit pas, mon cœur s’est enflé, mais, je l’ai comprimé ; il dit, mon cœur ne s’est pas enflé du tout, j’ai gardé mon âme constamment inaccessible au vice. Voilà, dis-je, le bonheur suprême : mais celui-là occupe le second degré, qui se hâte de chasser les pensées qui l’ont envahi, et ne leur permet pas de faire en lui un plus long séjour, de promener plus longtemps dans son cœur leurs détestables ravages. D’ailleurs quand bien même nous aurions poussé jusque-là la négligence, la bonté de Dieu laisse encore du recours à notre mollesse, et il ne manque pas de remèdes préparés pour les blessures de ce genre par cette grande et ineffable bonté. Mais il faut clore ici ce discours, de peur de voir se réaliser la crainte que nous exprimions en commençant, de peur que la multitude de nos paroles n’encombre votre mémoire. Par la même raison, il faut que je résume eu peu de mots ce que j’ai dit. Une mère n’agit pas autrement : lorsqu’elle a entassé dans la robe de son enfant les fruits, les friandises, que sais-je encore ? craignant que son étourderie ne laisse rien perdre de ce qu’elle lui a donné, elle relève de tous côtés son vêtement et l’assujettit solidement au moyen d’une ceinture. D’après cet exemple, resserrons tout ce long discours, et confions-le à la garde de la mémoire. Vous avez entendu comment nous ne devons rien faire par ostentation, comment c’est un grand mal que la négligence, comment elle fait trébucher facilement l’homme dont la vie est le plus irréprochable. Vous avez appris combien nous avons besoin de vigilance, surtout au terme de la vie, et comment il ne faut ni désespérer, quand on se convertit après avoir failli, ni s’abandonner à la confiance, quand on s’est relâché après avoir fait de bonnes œuvres. Nous vous avons entretenus de la différence des péchés, des dangers de l’admiration excitée par la beauté corporelle, et de ses redoutables effets. Vous n’avez pas oublié ce que nous avons dit de la présomption, ainsi que des mauvaises pensées. Retournons