personne ne l’y engage et ne l’y force ; fait, dis-je, tout ce qu’il imagine pouvoir plaire à ces maîtres. C’est pour l’amour d’eux, c’est afin de leur plaire qu’il se revêt de beaux vêtements, qu’il orne son visage, non pour soi, mais pour les autres ; qu’il se fait accompagner à la place d’une foule de domestiques, afin de s’attirer les regards et l’admiration de tout le monde ; enfin, tout ce qu’il fait, c’est pour les autres qu’il le fait. Est-il une pire et plus dangereuse maladie que celle-là ? souvent pour se faire regarder et admirer, il se précipite dans quelque abîme. Certes, ce qu’en a dit Jésus-Christ suffit pour en montrer toute la tyrannie. Mais je veux encore la faire connaître par d’autres endroits. Demandez à ces citoyens qui répandent leurs richesses avec tant de profusion pourquoi ils donnent de si grosses sommes d’argent, à quelle fin cette prodigieuse dépense ? ils n’auront que cette seule réponse à vous faire : c’est pour plaire au peuple. Mais interrogez-les encore, demandez-leur ce que c’est que le peuple ? c’est quelque chose, diront-ils, qui est plein de tumulte et d’agitation, où la déraison domine, qui va au hasard, comme les flots de la mer, un chaos d’idées et de sentiments contradictoires : est-il donc rien de plus misérable que celui qui se donne un tel maître ?
Mais que les personnes séculières s’attachent à la vaine gloire et la recherchent, c’est un mal sans doute, mais un mal relativement minime : au contraire, quand cette maladie s’acharne avec un redoublement de fureur sur ceux qui prétendent avoir renoncé au monde, c’est alors surtout que les effets en sont terribles. Car ceux-là ne prodiguent et ne perdent que leur argent, mais ceux-ci perdent leur âme : pour l’amour de la vaine gloire, abandonner la saine doctrine ! pour s’acquérir l’estime, déshonorer Dieu ! quelle lâcheté, quel engourdissement, quelle folie une telle conduite ne marque-t-elle pas ? Les autres vices, s’ils causent de grands dommages, procurent au moins quelque plaisir, quoique court et passager. Car l’avare, l’ivrogne, celui qui aime les femmes, goûtent en se perdant un instant de plaisir ; mais ceux qui sont captifs de cette passion mènent une vie dure et cruelle, sans jouir jamais d’aucun plaisir. En effet, jamais ils n’atteignent à ce qu’ils désirent le plus, je veux dire à la gloire, la considération publique, ils paraissent véritablement en jouir, et toutefois ils n’en jouissent point, parce que ce n’est point là une vraie gloire.
Voilà pourquoi cette passion n’est point appelée gloire, mais chose vide de gloire ; et tel est le sens du nom que lui ont donné justement les anciens[1], parce qu’elle n’a rien de réel, rien de beau, rien de glorieux au dedans. Un masque[2] paraît au-dehors beau et aimable, mais il est vide au dedans, et ne peut, pour cela même, bien que supérieur en beauté à bon nombre de visages, s’attirer jamais l’amour de personne : ainsi en est-il de cette gloire du peuple ; elle est même quelque chose de plus misérable, car elle engendre la tyrannique et redoutable passion dont nous avons parlé : elle n’a qu’une beauté extérieure et superficielle, tandis que l’intérieur non seulement est vide, mais encore flétri par l’infamie et désolé par la tyrannie la plus atroce.
D’où provient donc, me direz-vous, une si sotte et si extravagante passion, qui n’est capable de donner aucun plaisir ? D’où ? Elle ne peut venir que d’une âme basse et rampante. Il est bien difficile qu’un homme infatué de cette gloire conçoive de grands et de nobles sentiments ; nécessairement il sera sans honneur, bas, rampant, méprisable ; il ne fait rien pour la vertu, il fait tout pour plaire à de viles créatures, et il suit à l’aveugle leurs erronées et fausses opinions : comment vaudrait-il quelque chose ?
Mais remarquez ceci, mes chers frères ; si quelqu’un lui fait cette demande et lui dit : Vous-même, que pensez-vous de la multitude ? Il répondra sans doute. C’est une troupe de fainéants. Eh quoi ? Désireriez-vous de lui ressembler ? Si quelqu’un lui adresse cette nouvelle question, je ne crois pas qu’il y réponde affirmativement. N’est-il donc pas bien ridicule de rechercher avec soin l’estime et la faveur de gens à qui on ne voudrait jamais ressembler ?
6. Irez-vous dire qu’ils forment un groupe nombreux ? Raison de plus pour les mépriser. Si chacun d’eux est digne de mépris, leur réunion est méprisable à plus forte raison. Leur nombre, en se multipliant, ne fait que multiplier leur déraison. C’est pourquoi si vous les prenez en particulier, vous pourrez
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