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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 8, 1865.djvu/208

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Mais pourquoi ne fit-il pas de miracle avant qu’on emplît ces urnes d’eau, ce qui aurait été beaucoup plus merveilleux ? car autre chose est de changer la matière qui existe, et qu’on a sous sa main, en lui donnant une autre forme, autre chose de créer la substance même qui n’existait point ; l’un de ces prodiges est bien plus admirable que l’autre. Mais plusieurs auraient regardé ce dernier miracle comme incroyable, et c’est pour cette raison que souvent Jésus-Christ a volontairement diminué la grandeur de ses miracles, afin qu’on les crût plus facilement.
Et pourquoi, direz-vous, n’a-t-il pas mis l’eau lui-même et a-t-il ordonné aux serviteurs d’emplir ces urnes ? C’est encore pour la même raison, et aussi afin d’avoir pour témoins de ce miracle ceux mêmes qui avaient puisé et apporté l’eau, afin qu’ils pussent attester que ce n’était pas un prestige, une illusion. Si quelques-uns avaient impudemment osé le nier, ceux qui serraient pouvaient dire C’est nous qui avons puisé l’eau. De plus, Jésus par cette conduite renverse les doctrines qui se sont élevées contre l’Église. En effet, comme quelques-uns enseignent qu’il y a un autre Créateur du monde, et que ce n’est pas lui qui a créé les êtres visibles, mais un autre Dieu qui lui est contraire ; pour réprimer leur folie, il fait la plupart de ses miracles, en se servant des substances mêmes qui sont déjà créées. Car si le Créateur lui était contraire et opposé, il ne se servirait pas de l’ouvrage d’autrui, pour montrer et faire éclater sa propre puissance. Mais il fit voir, parce prodige, qu’il est celui-là même qui change l’eau dans les vignes, et qui, y faisant entrer la pluie par les racines, la convertit en vin, en opérant dans un instant aux noces ce qu’il fait dans la vigne même avec plus de temps.
Or, après qu’ils eurent rempli les urnes d’eau, Jésus leur dit : « Puisez maintenant, et portez-le au maître d’hôtel. Et ils lui en portèrent (8).
« Le maître d’hôtel ayant goûté de cette eau qui avait été changée en vin, et, ne sachant d’où venait ce vin, quoique les serviteurs qui avaient puisé l’eau le sussent bien, il appela l’époux (9).
« Et lui dit : Tout homme sert d’abord, le bon vin, et, après qu’on a beaucoup bu, il en sert alors de moindre : mais, pour vous, vous avez réservé jusqu’à cette heure le bon vin (10) ». Sur cet endroit encore quelques-uns plaisantent et disent : C’était là une compagnie d’ivrognes, de gens sans goût, sans discernement, incapables de juger des choses, jusqu’à ne savoir dire si on leur présentait de l’eau ou du vin : car, qu’ils étaient ivres, c’est ce que lé maître d’hôtel déclare lui-même. Voilà qui est fort plaisant, sans doute. Mais l’évangéliste a prévenu toute interprétation de ce genre. Il ne dit pas que ce furent les conviés qui jugèrent du vin, mais le maître d’hôtel qui était à jeun et n’avait encore goûté de rien. Vous le savez tous, mes frères, les gens chargés de l’ordonnance d’un grand repas, ne prennent aucune part au festin et n’ont d’autre soin que de veiller à ce que tout se passe dans l’ordre. Voilà pourquoi Jésus appelle à témoin du miracle qu’il vient de faire cet homme à jeun ; car il n’a point dit : Versez du vin aux conviés ; mais « portez-en au maître d’hôtel. Le maître d’hôtel ayant goûté de cette eau qui avait été changée en vin, et ne sachant d’où venait ce vin, quoique les serviteurs le sussent bien, appela l’époux ».
Pourquoi ne s’adresse-t-il pas aux serviteurs ? C’était la voie la plus courte de publier le miracle. C’est que Jésus ; loin de divulguer lui-même ses prodiges, voulait que la vertu et la puissance qu’il avait de faire des miracles, vinssent insensiblement et peu à peu à la connaissance des hommes. Si dès lors celui-là avait été répandu, on n’aurait pas ajouté foi au récit des serviteurs ; on les aurait jugés fous d’attribuer une si grande action à celui qui, dans l’opinion de plusieurs, était un homme ordinaire. À la vérité, ils avaient clairement vu ce qui s’était passé, ils en avaient une parfaite connaissance ; ils ne pouvaient pas révoquer en doute ce que leurs mains avaient fait, mais toutefois ils n’étaient pas propres à persuader les autres. C’est pourquoi Jésus-Christ n’a pas découvert ce miracle à tous les conviés, mais seulement à celui qui pouvait mieux l’apercevoir, réservant à l’avenir de le mettre dans une plus grande évidence ; car les autres prodiges qu’il devait faire ne pouvaient manquer de rendre celui-ci plus croyable. Du moins, à l’occasion de la guérison du fils de l’officier, l’évangéliste fait entendre, par ce qu’il en dit, que ce miracle du changement de l’eau en vin était dès lors plus connu. En effet, la connaissance, comme j’ai dit, qu’en avait cet officier, est ce qui le porte