opinion que les Juifs pouvaient concevoir, en disant : « Car il savait bien ce qu’il devait faire,» ; de même, lorsqu’il dit plus haut les Juifs le persécutaient « parce que non seulement il ne gardait pas le sabbat, mais qu’il disait même que Dieu était son Père, se faisant ainsi égal à Dieu » (Jn. 5,18) ; si ce n’eût été là le sentiment que Jésus-Christ lui-même voulait qu’on eût de lui et qu’il avait établi et confirmé par ses œuvres, il n’aurait pas manqué de relever l’erreur. En effet, si dans ce que Jésus-Christ dit de lui-même, l’évangéliste craint les mauvaises interprétations et va au-devant des fausses idées qu’on pouvait se former ; à plus forte raison, dans ce que les autres disaient de lui, a-t-il dû craindre de laisser passer des erreurs sans les signaler. Si donc, en cet endroit, il n’a rien dit, c’est qu’il savait que ces paroles exprimaient la pensée de Jésus-Christ et sa volonté éternelle. Voilà pourquoi saint Jean ayant dit « Se faisant égal à Dieu », n’a point ajouté de correctif, parce que l’opinion des Juifs n’était point fausse, et qu’en cela ils avaient de Jésus-Christ le vrai sentiment qu’ils en devaient avoir, ses œuvres établissant et démontrant cette égalité.
Lors donc que Jésus eût interrogé Philippe, « André, frère de Simon Pierre, dit (8) : Il y a ici un petit garçon qui a cinq pains d’orge et « deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour « tant de gens ? (9) ». André a de plus grands sentiments que Philippe, et cependant il n’a pas tout à fait compris l’intention de Jésus-Christ. D’ailleurs, je crois qu’il n’a point parlé ainsi au hasard, mais qu’avant appris les miracles des prophètes, comme celui d’Élisée dans la multiplication des pains (2R. 4,42), il conçut quelques sentiments plus élevés, sans atteindre toutefois le sommet. Pour nous, mes frères, qui aimons la bonne chère, remarquons ici quelle était la nourriture de ces hommes admirables, combien elle était simple par la qualité et le nombre des mets, et tâchons de les imiter en cela. Ce qu’André dit ensuite marque beaucoup de grossièreté, car à ces paroles : Un petit garçon a cinq pains d’orge, il ajouta : « Mais qu’est-ce que cela pour tant de gens ? » Il pensait apparemment que celui qui opérait des miracles ferait peu de choses de peu et beaucoup de beaucoup. Mais c’est en quoi il se trompait, car il était aussi facile à Jésus de produire une grande abondance avec beaucoup qu’avec peu, car il n’avait nullement besoin d’avoir la matière entre ses mains. Mais de peur qu’on ne crie qu’il n’était pas convenable à sa sagesse de faire usage des créatures, comme l’ont follement enseigné les marcionites, il s’est expressément servi des choses créées pour opérer des miracles. Lors donc que ces deux disciples avaient perdu toute espérance, Jésus-Christ fait le miracle. De cette manière, après qu’ils eurent reconnu et confessé la difficulté de trouver la quantité de pains qu’il fallait pour donner à manger à cette foule de peuple, le miracle, leur fut plus avantageux et plus profitable, en leur faisant connaître la vertu et la puissance de Dieu. Et comme ce miracle était de la nature de ceux que les prophètes avaient opéré, quoique Jésus-Christ ne le produisît pas de même qu’eux et qu’il fît précéder l’action de grâces, de peur toutefois que ces personnes simples et faibles ne tombassent dans quelque soupçon et dans quelque doute, voyez, mes frères, comment il prend tous les moyens pour élever leur esprit et leur faire sentir la différence. Lorsque les pains ne paraissaient point encore, c’est alors même qu’il fait le miracle, afin que vous sachiez que ce qui n’est point, comme ce qui est, lui est également soumis, ainsi que : le déclare saint Paul : « Dieu appelle ce qui n’est point comme ce qui est ». (Rom. 4,17) Comme si déjà la table était préparée et le repas servi, Jésus-Christ ordonne sur-le-champ qu’on les fasse asseoir et voilà par où il élève l’esprit de ses disciples. Mais la preuve que la demande qu’il leur avait faite leur avait été utile, c’est qu’aussitôt ils obéirent ; ils ne furent point troublés, ils ne dirent pas : Qu’est-ce que cela veut dire ? Pourquoi commandez-vous qu’on les fasse asseoir, lorsqu’on ne voit rien à manger ? Ainsi, les disciples, avant de voir le miracle, commencèrent à croire, eux qui au commencement ne croyaient pas de même et qui disaient : « Où achèterons-nous des pains ? » Ou plutôt même ils firent asseoir le peuple avec joie.
Mais d’où vient que Jésus-Christ, avant de guérir le paralytique, de ressusciter un mort, de calmer la mer, ne prie point, et qu’ici il prie lorsqu’il va multiplier les pains ? C’est pour nous apprendre qu’avant de manger, il faut rendre grâces à Dieu. Au reste, c’est dans les plus petites choses que Jésus-Christ a coutume
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