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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 8, 1865.djvu/534

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ne parût lui-même mal faire s’il le délivrait. Mais les Juifs, à qui les œuvres et les paroles de Jésus manifestaient la vérité, n’ont point d’horreur de leurs accusations et dé leurs poursuites ; et ils font mourir Jésus pour la même raison qui aurait dû les déterminer à l’adorer. Pilate ne lui demande donc plus : « Qu’avez-vous fait ? » Mais, saisi de crainte et de peur, il prend l’enquête de plus haut, et dit : « Êtes-vous le Christ (9) ? » Mais Jésus ne lui fait aucune réponse, parce que, ayant déjà entendu sa réplique à la même question : « C’est pour cela que je suis né et que je suis venu » ; et : « Mon royaume n’est point d’ici » : Pilate, au lieu de s’opposer alors à la fureur des Juifs et de la réprimer, au lieu de le délivrer et le renvoyer absous, avait suivi l’élan donné par eux.
Les Juifs, se voyant réfutés, et toutes leurs accusations repoussées par de fortes raisons, ont recours à un autre artifice, et accusent Jésus d’un crime public[1]. « Quiconque se fait roi », disent-ils, « se déclare contre César ». Il fallait donc alors exactement et rigoureusement informer sur une accusation si grave et si importante ; il fallait examiner si véritablement Jésus aspirait à la tyrannie, s’il cherchait à détrôner César. Mais le juge ne fait aucune recherche ni information, voilà pourquoi Jésus ne lui répondit point, sachant que ses questions n’étaient point sérieuses. De plus, ses œuvres lui ayant rendu un témoignage suffisant, il ne voulait pas repousser leurs accusations, ni se justifier par des paroles, pour faire connaître à tout le monde qu’il s’était volontairement livré à la mort.
Comme Jésus gardait le silence, « Pilate lui dit : Ne savez-vous pas que j’ai le pouvoir de vous faire attacher à une croix (10) ? » Ne voyez-vous pas, mes frères, comment ce juge se condamne lui-même par ses paroles ? Car on pouvait lui objecter : Si vous avez ce pouvoir absolu, pourquoi, ne trouvant aucun crime en cet homme, ne le renvoyez-vous pas absous ? Lors donc qu’il eut prononcé sa sentence contre Jésus, alors lé Sauveur lui dit : « Celui qui m’a livré à vous est coupable d’un plus grand péché (11) », lui montrant par là qu’il était aussi lui-même coupable de péché. Ensuite, pour rabattre son faste et sa fierté, il ajoute, : « Vous n’auriez aucun pouvoir, s’il ne vous avait été donné » ; par où le Seigneur déclare que ce n’est point par hasard, ni selon l’usage commun que cela s’est fait, mais qu’il y a là-dedans un mystère caché. Et de peur qu’entendant ces paroles : « S’il ne vous avait été donné », il ne se crût exempt de tout crime, Jésus-Christ ajoute : « Celui qui m’a livré à vous est coupable d’un plus grand péché ».
Mais si ce pouvoir lui avait été donné, ni lui, ni les Juifs, n’étaient coupables. C’est là parler en vain, car le mot : « donné », est mis ici pour permis ; c’est comme si le Sauveur eût dit : Dieu a permis que cela arrivât. Mais vous n’êtes pas pour cela exempt de péché. Jésus-Christ effraya Pilate par ces paroles, et se justifia clairement et pleinement. C’est pourquoi le juge cherchait un moyen de le délivrer, mais les Juifs crièrent, encore : « Si vous délivrez cet homme, vous n’êtes point ami de César (12) ». Comme il ne leur avait servi de rien d’imputer à Jésus des crimes contre la loi, ils se tournèrent perfidement du côté des lois publiques, disant : « Quiconque se fait roi, se déclare contre César ». Et en quoi Jésus vous a-t-il paru être un usurpateur ? Par quoi pouvez-vous le prouver ? Est-ce par la pourpre, par le diadème, par le manteau, par ce qu’ont fait les soldats ? Ne marchait-il pas toujours seul avec ses douze disciples, n’usait-il pas dans sa nourriture, dans ses vêtements, dans son logement, de tout ce qu’il y a de plus commun et de plus vil ? Mais, ô impudence, ô crainte bien mal placée ! En effet, Pilate, craignant le péril auquel il s’exposerait en négligeant une accusation si importante, sortit véritablement du prétoire, comme pour l’examiner ; car c’est ce que marque l’évangéliste, et disant : « Il s’assit », mais il n’en fit rien, et, sans autre information ni examen, il livra Jésus aux Juifs s’imaginant qu’il les fléchirait par cette conduite. Que ce fût là sa pensée et son intention ;.vous vous en convaincrez si vous écoutez ce qu’il dit : « Voilà votre roi (14) ». Les Juifs ayant crié : « Crucifiez-le », il ajouta encore : « Crucifierai-je votre roi (15) ? » Mais les princes des prêtres se mirent à crier : « Nous n’avons point d’autre roi que César ». Par où l’on voit qu’ils se livrent eux-mêmes volontairement à la vengeance divine. C’est pourquoi

  1. Un crime public : Les Romains distinguaient deux sortes de crimes : les crimes privés, qui ne regardaient que les particuliers, dont la poursuite n’était permise par les lois qu’à ceux qui y étaient intéressés ; et les crimes publics, dont la poursuite était permise à toutes sortes de personnes, quoique non intéressées.