laquelle Judas se condamna lui-même est l’arrêt des Juifs qui condamnèrent Jésus-Christ ; et elle ne leur laisse pas la moindre excuse. Que peuvent-ils dire de cette mort, après que Judas s’en est puni lui-même si sévèrement ? Car remarquez ces paroles dont il se sert pour exprimer son regret : « J’ai péché parce que j’ai trahi le sang innocent. Mais ils lui répondirent : Que nous importe ? C’est à vous à y penser (4). Et ayant jeté cet argent dans le temple, il se retira ; et s’en étant allé, il s’étrangla (5) », parce qu’il ne put souffrir les remords qui déchiraient sa conscience. Mais qui peut assez admirer jusqu’où va l’endurcissement des Juifs, qui, au lieu d’être touchés de cet exemple, demeurent au contraire opiniâtres dans leur péché, jusqu’à ce qu’ils l’aient porté à son comble ? Car le crime de Judas, c’est-à-dire sa trahison, était déjà accompli, mais celui des Juifs, c’est-à-dire la mort de Jésus-Christ, ne l’était pas encore. On voit néanmoins qu’aussitôt qu’ils l’eurent achevé, ils entrèrent dans la confusion et dans le trouble. Tantôt ils disent : « N’écrivez point qu’il est le Roi des Juifs ». Que pouvaient-ils encore craindre en le voyant déjà en croix ? Tantôt ils donnent ordre qu’on garde son tombeau avec des soldats : « De peur », disent-ils, « que ses disciples ne le dérobent, et qu’ils ne disent qu’il est ressuscité des morts, et cette dernière erreur serait pire que la première ». Mais quand les disciples le diraient, si cela n’était pas vrai en effet, ne serait-il pas aisé de les convaincre de faux ? Et comment le pourraient-ils dérober, puisqu’ils n’osent pas même demeurer au lieu dans lequel on l’avait pris, et que saint Pierre, qui était leur chef, succombant à la seule voix d’une servante, le renonce par trois fois ?
Mais, comme je viens de le dire, un grand trouble s’était emparé d’eux ; car ils savaient assez l’excès du péché qu’ils commettaient, comme on peut le voir par ces paroles qu’ils répondirent à Judas : « Que nous importe ? « C’est à vous à y penser ». Avares, je vous appelle encore ici, et vous conjure de voir dans quel abîme de maux Judas se précipite lui-même ; car il se trouve enfin qu’il commet le plus grand de tous les crimes, et qu’en ayant rejeté le prix, il perd en même temps son argent, sa vie et son âme. Tel est enfin le succès de l’avarice. Elle fait perdre à celui qu’elle tyrannise, et l’argent dont elle lui inspirait une si curieuse passion, et le bonheur de cette vie, et les biens de l’autre.
Elle jette ici Judas dans une confusion épouvantable, et, après l’avoir rendu méprisable devant ceux même à qui il avait livré son Maître, elle le fait mourir de la mort la plus infâme. C’est ce qui confirme ce que j’ai dit : que quelques-uns mie reconnaissent leurs cri-mes qu’après qu’ils les ont commis. Car je vous prie de considérer combien ces Juifs appréhendent de trop approfondir ce qu’ils font et de voir trop clairement l’énormité de leur attentat : « C’est à vous à y penser », disent-ils. Et ceci rend leur faute encore plus grande. Transportés et comme enivrés parleur passion et par leur audace, ils ne pensent qu’à venir à bout de leur entreprise diabolique, et ils tâchent de se la dissimuler à eux-mêmes, par une ignorance affectée, et par de vains prétextes dont ils veulent se couvrir.
S’ils ne parlaient de la sorte qu’après avoir déjà fait mourir le Sauveur, et lorsque le mal serait sans remède, quoique cette parole ne les justifiât pas, au moins ne les condamnerait-elle pas autant qu’elle le fait maintenant. Mais lorsqu’il est encore en leur pouvoir de ne pas commettre un si grand crime, et de s’abstenir de tremper leurs mains dans le sang de cet innocent, comment peuvent-ils dire : « C’est à vous à y penser » ? Cette excuse les accuse encore davantage. Ils rejettent toute la faute sur Judas. C’est sur lui qu’ils veulent faire retomber le crime de ce sang répandu, lorsqu’ils peuvent encore s’en rendre innocents eux-mêmes, en ne le répandant pas.
Mais ils vont encore pins loin que Judas. Judas a trahi Jésus-Christ, et les Juifs le crucifient. Il les empêchait d’aller plus loin, d’aller jusqu’à la mort, et ils passent outre. Pourquoi leur fureur continue-t-elle ? Pourquoi le font-ils mourir avec une précipitation inouïe, et avec une malice si noire que la justice des supplices qu’ils s’attirèrent et qu’ils souffrirent depuis, paraît visible à tout le monde ? Nous allons voir que Pilate même leur donnant le choix de Jésus ou de Barabas, ils préfèrent un voleur insigne au Sauveur du monde. Ils sauvent un détestable meurtrier, et ils mettent en croix Jésus-Christ, qui, bien loin de leur avoir jamais fait le moindre mal, les avait comblés de tous biens. Mais retournons encore à Judas. Voyant qu’il travaillait en vain, et que les Juifs ne voulaient point reprendre cet