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VIE DE CICÉRON.

sévère que le préteur avait apportée à ce procès, et la sentence qui le termina, dans un temps si fécond en acquittements scandaleux, lui firent, écrit-il, le plus grand honneur dans l’esprit du peuple. Ce fait, attesté aussi par Plutarque, n’est point démenti parce qu’il y a de contradictoire, quant aux détails, entre son récit et celui d’un autre écrivain, lequel rapporte que Macer attendit la sentence au tribunal, mais que, voyant Cicéron se lever pour le déclarer coupable, il lui fit dire qu’il était mort, et s’étrangla aussitôt, afin de prévenir sa condamnation, et de conserver ainsi tous ses biens à son fils.

Cicéron ne se borna point, pendant sa préture, à juger les causes portées à son tribunal ; il alla parfois plaider à celui des autres préteurs. On le vit aussi, à cette époque, fréquenter l’école du rhéteur Gniphon. L’élève avait quarante et un ans.

Il y en avait plus de vingt qu’il cultivait l’art de la parole ; il était depuis longtemps sans égal au barreau ; son éloquence lui avait valu les hautes dignités de l’État, et cependant, telle était l’idée qu’il se faisait de l’orateur, qu’il n’avait pas encore affronté la grande épreuve du Forum. Il l’osa enfin ; et l’on voit, par ses premières paroles, quel respect lui inspirait la majesté d’un auditoire qui était le peuple. Le tribun C. Manilius voulait enlever à Lucullus, au profit de Pompée, alors occupé à poursuivre les pirates, le soin de la conduite de la guerre contre le roi de Pont, et lui faire donner, outre les forces maritimes dont il disposait déjà, l’Asie mineure, la Bithynie, la Cappadoce, la Cilicie, la Colchide, l’Arménie etc. ; c’est-à-dire, près de la moitié de l’empire romain. Le peuple était favorable à cette proposition. César l’approuvait. Elle était combattue par le sénat, surtout par Q. Catulus et Hortensius. La popularité était du côté de ceux qui l’appuyaient. Cicéron, qui songeait au consulat, monta, pour la première fois, à la tribune aux harangues, et appuya la demande de Manilius ou plutôt l’ambition de Pompée. La loi passa.

Il n’avait plus que deux ou trois jours à exercer sa charge, lorsqu’on traîna devant lui ce même Manilius, accusé de péculat. Contre l’usage des préteurs, qui était d’accorder au moins dix jours aux prévenus pour préparer leur défense, Cicéron fixa l’audience au lendemain. Le peuple, déjà irrité de l’accusation portée contre son tribun, le fut bien plus encore de ce court ajournement du préteur, devenu, à ses yeux, le complice de ceux qui persécutaient en lui le partisan de Pompée. À leur tour, les nouveaux tribuns citent sur-le-champ Cicéron devant le peuple, l’interpellent et le somment de répondre. « En accordant, dit-il, à l’accusé dont je suis l’ami, le seul jour où je conserve encore le droit d’absoudre, au lieu de renvoyer le jugement à un autre préteur, ne l’ai-je pas assez favorisé ? » Il se fait, à ces mots, dans les esprits, un changement complet ; on le félicite, on l’applaudit, on le prie de se charger lui-même de la défense de Manilius ; il y consent, remonte à la tribune, et, reprenant toute l’affaire, s’élève avec force contre les prétentions des nobles et les envieux de Pompée.

Cicéron, après sa préture, ne sollicita point de gouvernement, quoique ce fût là le prix ordinaire de ces fonctions. Il voulait le consulat. De grandes causes remplirent les deux années qui l’en séparaient encore. La plus importante fut la défense de C. Cornélius, qui avait signalé son tribunat par des tumultes populaires, où les faisceaux du consul Pison avaient été brisés, et sa personne assaillie à coups de pierres. Les nobles et presque tout le sénat s’étaient joints à l’accusateur. Cicéron, qui allait avoir besoin de leur appui, réussit à les ménager, sans manquer aux devoirs de sa cause, dont les débats durèrent quatre jours. Sa plaidoirie, aujourd’hui perdue, passait pour son chef-d’œuvre, et l’était à son propre jugement.

Le désir de gagner la confiance des nobles, et surtout la faveur de Crassus et de César, faillit lui faire entreprendre, à cette époque, la défense de Catilina, lequel, revenu de sa préture d’Afrique, s’était vu arrêter dans ses prétentions au consulat par une accusation de péculat. Quel motif détourna Cicéron de ce projet ? on l’ignore. Au reste, Catilina sut se passer de son éloquence ; il acheta l’accusateur, et, après avoir machiné, avec César, deux conspirations qui échouèrent ; après être sorti triomphant d’une seconde accusation, puis d’une troisième, laquelle regardait un inceste avec la vestale Fabia, belle-sœur de Cicéron, il brigua le consulat pour l’année suivante. (690 de Rome).

Cicéron se mit aussi sur les rangs. Mais il répugnait à l’honnêteté de ses principes d’employer tous les moyens consacrés par l’usage, comme d’avoir des courtiers (interpretes), pour marchander les votes ; des dépositaires connus (sequestres), gardiens des sommes destinées à payer ces suffrages ; et enfin, car c’était la corruption organisée, des distributeurs (divisores), chargés de remettre à chaque votant le prix convenu, en même temps que son bulletin : trafic, il est vrai, défendu, mais toléré, et auquel on affecta même une fois les fonds de l’État, avec l’approbation de Caton.

Le frère de Cicéron, craignant que tant de scrupules ne le fissent échouer, se hâta de composer pour lui une espèce de traité sur la candidature (de Petitione consulatus), retouché, dit-on, et publié par Cicéron, et où l’auteur ne recommande toutefois que l’emploi des moyens légitimes, parmi lesquels il en est de curieux.

Être toujours prêt à parler. — Solliciter sans