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ix
VIE DE CICÉRON.

cesse, avec instance, avec énergie. — Donner des repas, et en faire donner par ses amis, dans les divers quartiers de Rome. — rechercher les hommes influents de tous les ordres. — Acquérir l’amitié des jeunes gens, qui, fiers d’être employés, déploient une activité très-utile, parcourent les centuries, communiquent leur ardeur, rapportent les nouvelles. — Être jour et nuit accessible. — Ne dédaigner aucun moyen, si petit qu’il soit ; aucun suffrage, si inutile qu’il paraisse. — Avoir partout des relations nombreuses. — Gagner à sa cause les gens habiles de chaque centurie, et ceux qui disposent des suffrages de leur tribu. — Faire des promesses à tout le monde, et remplir celles qui doivent rapporter le plus. — Promettre toujours : que risque-t-on ? Tel qui a reçu vos offres de services n’en réclamera point l’accomplissement, ceux qui comptent sur vous étant d’ordinaire plus nombreux que ceux qui en usent. — Refuser, quand le veut la nécessité, de l’air de gens qui accordent. — Avoir toujours présentes l’Italie et ses divisions, afin de ne pas laisser un municipe, un village, un hameau, un seul endroit enfin, où l’on ne s’assure un appui. — En découvrir les habitants qui résident temporairement à Rome, s’insinuer auprès d’eux, et les appeler souvent par leur nom ; car ces bons campagnards pensent être vos amis dès qu’ils vous sont connus de nom ; et ils se feront chez eux vos prôneurs. — Attirer à soi les partisans de ses compétiteurs. — Persuader à quiconque vient chez vous que vous le distinguez des autres. — Faire des avances à ses ennemis ; à ceux qu’on a offensés, des excuses. — Paraître agir naturellement dans ce qui est le plus éloigné du naturel, et conformer sa physionomie et ses discours aux affections de ceux qu’on aborde, de manière à être gai ou triste suivant la circonstance. — Assurer aux nobles qu’on a toujours préféré leur parti à celui du peuple. — Affirmer le contraire à la multitude. — Savoir discerner à quoi chacun est propre, et bien distribuer les rôles. — Réunir chaque jour une multitude d’hommes de toutes les classes, et descendre au Forum à des heures fixes, à la tête de ce cortége. — Exiger de ceux qui vous doivent ce service qu’ils n’y manquent jamais ; et quand ils ne pourront vous le rendre, qu’ils envoient, à leur place, des personnes de leur maison ; suppléants toujours prêts. — Se montrer bon nomenclateur, à cause de l’estime particulière accordée aux candidats dont la mémoire sait se passer de celle d’un esclave ; perfectionner sans relâche cet art de flatter le peuple. — Être opiniâtre, actif, adroit, persévérant. — Supporter l’arrogance, l’obstination, la malveillance, l’orgueil, la haine, la jalousie, l’injustice. — Ne se laisser effrayer par rien. — Triompher de tout à force de prudence et d’art. Il faut réussir.

Tels sont, en partie, les préceptes contenus dans cet opuscule (commentariolum), qui en renferme aussi de particuliers à Cicéron en sa qualité d’homme nouveau, et qui devint à Rome le manuel du candidat. Cicéron mit à profit quelques-uns de ces conseils, et ne s’occupa plus que du succès de sa candidature. Il écrivit à ses amis absents de Rome de le recommander à leurs clients ; il visita les partisans de Pompée, qui lui devaient leur appui, en retour de celui qu’il leur avait prêté ; il fit même un voyage dans la Gaule cisalpine, pour s’assurer les suffrages de cette province ; et profitant, un jour, de ce que toute la ville était assemblée au Champ de Mars, pour l’élection des tribuns, il courut se mêler à la foule, salua tous les citoyens par leur nom, de l’air bienveillant qui distinguait, pour nous servir de ses expressions, la gent officieuse des candidats (natio officiosissima) ; sema des promesses, des paroles flatteuses, des mots heureux. À la fin, mourant de soif, il demande un verre d’eau. On le lui apporte ; et apercevant non loin de là le censeur L. Cotta, lequel passait pour aimer un peu le vin, il dit à ses amis qui l’entouraient : « Vous faites bien de me cacher, de peur que Cotta ne me censure pour avoir bu de l’eau. »

Des six compétiteurs qu’avait Cicéron, deux, Catilina et Antoine, unis par les liens du crime, jouissaient, malgré leur infamie, d’un grand crédit auprès des nobles, et employaient l’intrigue, la corruption, la calomnie, pour écarter Cicéron, leur concurrent le plus redoutable. Il n’avait à leur opposer qu’une arme, son éloquence ; mais il fallait une occasion ; elle se présenta ; il la saisit. Le sénat, jaloux de réprimer à son tour les excès toujours croissants de la brigue, venait de porter, à ce sujet, une loi des plus sévères. Cette loi était repoussée par le tribun Q. Mucius Orestinus, défendu naguère par Cicéron, et qui, maintenant son ennemi, ne cessait de tourner en ridicule sa naissance et son caractère. Cicéron combattit avec énergie, dans le sénat, l’opposition du tribun ; et dévoilant les crimes, les manœuvres, les projets de ses adversaires, il en fit un tableau si effrayant que les nobles mêmes, dont l’orgueil avait jusque-là rabaissé l’homme nouveau qui osait leur disputer les hautes dignités de l’État, commencèrent à le regarder comme le seul citoyen capable de le sauver.

Chaque élection devait être pour lui l’occasion d’un honneur sans exemple. Celle des consuls se faisait au scrutin. Cette voie parut trop lente à l’impatience des Romains. On le nomma par acclamation.

C’était, depuis plus de trente années, le premier homme nouveau qu’on eut élevé au consulat, et, depuis l’institution de cette magistrature, le pre-