Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/12

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Ce discours, ainsi qu’on le voit au commencement de l’exorde, n’est par le premier que Cicéron ait prononcé ; mais c’est le premier qui ait été conservé. Après l’exorde et la narration, l’orateur pose nettement l’état de la question : Névius n’a point possédé les biens de Quintius aux termes de l’édit du préteur. Il le prouve en établissant trois propositions, dont le développement compose sa confirmation :

1o Il n’était pas fondé à requérir la saisie, parce qu’on ne lui devait rien, et qu’on n’a point fait défaut.

On ne lui devait rien ; car, pendant plus d’un an de séjour dans la Gaule avec Publius, il ne lui a rien demandé (XI et XII).

On ne lui devait rien ; car, aujourd’hui même, il refuse d’entrer en compte, et il épuise toutes les formes de procédure, pour empêcher qu’on ne juge le fond du procès (XIII et XIV).

On n’a point fait défaut ; car, de l’aveu même de Névius, son adversaire n’était pas à Rome à l’époque où l’on veut qu’il ait consenti un ajournement. Et d’ailleurs, eût-il même fait défaut, ce n’était pas une raison pour le traiter avec cette rigueur (XV — XVIII).

2o Névius n’a pu saisir ni posséder aux termes de l’édit ; car, d’après l’édit, les seuls débiteurs dont on puisse saisir les biens sont ; celui qui se sera caché pour frustrer son créancier ; celui qui n’aura point d’héritier connu ; celui qui aura quitté son domicile pour aller en exil ; l’absent qui n’aura pas été défendu en justice. Or rien de tout cela n’est applicable à Publius.

3o Enfin, la saisie, même illégale, n’a pas été consommée. Cette troisième partie de la confirmation est perdue ; mais la fin de la récapitulation y supplée. Cette récapitulation, peut-être un peu détaillée, rappelle tous les arguments qui ont été développés dans le discours. Elle occupe en entier les chap. XXVIII et XXIX. Vient ensuite la péroraison, où l’orateur s’attache à émouvoir la compassion de son juge en faveur de Publius, et à rendre son adversaire odieux.

Cette cause fut plaidée, au rapport d’Aulu-Gelle, XV, 28, sous les consuls M. Tullius Decula, et Cn. Dolabella (l’an de Rome 672), Cicéron étant dans sa vingt-sixième année. On conclut, des termes dans lesquels en parle Aulu-Gelle, que Cicéron la gagna.

N. B. Comme il est plusieurs fois question, dans ce discours, de Caïus Quintius, pour éviter toute méprise, nous nommerons toujours Publius, ou Publius Quintius le client de Cicéron.


I. Les deux puissances qui exercent dans un État l’empire le plus absolu, le crédit et l’éloquence, semblent s’être aujourd’bui réunies contre nous. L’une m’intimide, C. Aquillius, et l’autre m’épouvante. J’éprouve, en pensant à l’éloquence de Q. Hortensius, un trouble qui nuira peut-être à ma défense ; mais je redoute surtout que le crédit de Sextus Névius ne soit funeste à Publius Quintius. Sans doute nous aurions moins à nous plaindre de ce que nos adversaires possèdent ces doux avantages à un si haut degré, si nous-mêmes n’en étions pas entièrement privés. Mais il faut qu’avec trop peu d’expérience et un talent médiocre, je lutte aujourd’hui contre le plus habile des orateurs, et que Publius sans appui, sans fortune, presque sans ami en état de le secourir, combatte un adversaire tout-puissant par son crédit. Pour surcroît de malheur, M. Junius, qui a déjà plusieurs fois plaidé ce procès devant vous, et qui joint à l’habitude du barreau une connaissance approfondie de cette affaire, est absent à cause du nouvel emploi dont il vient d’être chargé. C’est donc à moi qu’on s’est a dressé, à moi qui, en me supposant tous les autres moyens de triompher, n’ai du moins eu que bien peu de temps pour étudier une cause si importante et si compliquée. Ainsi la ressource même à laquelle j’ai recours dans d’autres occasions, me manque dans celle-ci. A défaut de génie, j’ai coutume d’appeler le travail à mon aide ; mais quel peut être ce travail si l’on n’a pour s’y livrer le temps indispensable ? Plus nos désavantages sont nombreux, plus nous vous prions, Aquillius, vous et ceux qui forment votre conseil, de nous prêter une oreille favorable, afin que la vérité, obscurcie par tant de nuages, retrouve enfin son éclat dans les lumières de votre équité. Que si un juge tel que vous, ne protège point, contre le crédit et la puissance, l’homme faible et sans appui ; si, devant un tel conseil, cette cause est pesée au poids de la fortune et non à celui de la justice, hélas ! il sera donc vrai qu’il n’est plus dans Rome de vertus sans tache et sans reproche, et que le faible n’a rien à espérer désormais de la sagesse