Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/120

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satisfait s’il ne subissait que la punition commune des concussionnaires avares. Il faut une punition à son étrange et monstrueuse perversité. Il ne suffit pas à la haine publique qu’il restitue, après sa condamnation, les biens qu’il a ravis ; il faut qu’il expie les outrages faits aux dieux immortels ; il faut que les tourments de nos concitoyens, que le sang innocent tant de fois répandu soient vengés par son supplice. Car ce n’est pas un voleur, mais un ravisseur ; ce n’est pas un adultère, mais un violateur brutal de la pudicité ; ce n’est pas un sacrilège, mais l’ennemi de tout ce qui est saint et religieux ; ce n’est pas un assassin, mais le plus cruel bourreau des citoyens et des alliés que nous avons amené devant votre tribunal ; enfin c’est, de mémoire d’homme, le seul accusé à qui il eût été, je pense, avantageux d’être condamné.

IV. Eh ! qui ne comprend que ce misérable, absous malgré les dieux et les hommes, ne peut, quoi qu’il fasse, être arraché aux mains du peuple romain ? Qui ne voit que ce sera un grand bonheur pour nous, si le peuple romain se contente du supplice de ce seul coupable, s’il ne décrète pas qu’après avoir pillé les temples, égorgé tant d’innocents, fait subir à des citoyens romains la mort, la torture, la croix, mis en liberté pour de l’argent des chefs de pirates, il n’a pas commis un plus grand crime que ceux qui, au mépris de leurs serments, ont absous par leurs suffrages un homme souillé de tant de forfaits ? Non, juges, il est impossible de faillir, quand il s’agit de juger cet homme : ce n’est pas en faveur d’un tel accusé, ce n’est pas dans ce moment, ce n’est pas devant ce tribunal, qu’il faudrait tenter la séduction. Je crains de paraître trop présomptueux lorsque je parle ainsi devant de tels juges, mais l’accusateur lui-même n’est pas de ceux à qui un accusé si coupable, si désespéré, si convaincu, pourrait être soustrait furtivement, ou arraché impunément. Me sera-t-il impossible de prouver aux juges qui m’écoutent que C. Verrès a pris de l’argent contre les lois ? Pourront-ils ne pas croire tant de sénateurs, tant de chevaliers romains, tant de cités, tant de personnes honorables d’une province si renommée, tant d’actes publics et privés ? Pourront-ils résister à la volonté si formelle du peuple romain ? Eh bien ! qu’ils aient ce courage : nous, si nous pouvons conduire cet homme vivant vers un autre tribunal, nous trouverons des juges à qui nous prouverons qu’il a, dans sa questure, détourné les fonds publics accordés au consul Cn. Carbon ; à qui nous persuaderons qu’il a, sous de faux prétextes, comme vous l’avez appris dans la première action, tiré de l’argent des questeurs de la ville. Il se trouvera des citoyens qui l’accuseront d’avoir osé retrancher sur le blé des dîmes de quelques débiteurs ce qu’il voulait prendre pour lui. Il s’en trouvera peut-être aussi, juges, qui croiront devoir punir du châtiment le plus exemplaire le crime de péculat commis par cet homme, lorsqu’il ne craignit pas d’enlever des temples les plus révérés, des villes de nos alliés et de nos amis, les monuments de M. Marcellus et de P. Scipion l’Africain, monuments qui, sous le nom de ces grands hommes, étaient en réalité, et de l’aveu de tous, les monuments du peuple romain.

V. Supposons qu’il se soit tiré même de cette