Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/125

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les juges attendent toutes les lumières ? J’ai dit, dans la première action, que j’allais prouver clairement que C. Verrès avait emporté de Sicile quarante millions de sesterces, au mépris des lois. Eh bien ! aurais-je été plus clair, si j’avais ainsi raconté les faits ? Un certain Dion d’Halèse, au fils duquel un parent avait laissé une succession fort considérable, sous la préture de Sacerdos, la recueillit sans aucune difficulté, sans la moindre contestation. À peine Verrès eut-il mis le pied dans la province, qu’il écrivit à Messine, fit comparaître Dion devant lui, aposta des calomniateurs, choisis parmi ses affidés, pour dire que cette succession était dévolue à Vénus Érycine, et déclara qu’il instruirait lui-même cette affaire. Je puis vous exposer tous les détails et vous dire ce qui arriva : Dion, pour gagner une cause si assurée, fit compter au juge un million de sesterces ; celui-ci eut en outre le soin de faire emmener des troupeaux de cavales, et d’enlever tout ce qui se trouvait d’argenterie et de tapisseries dans la succession. Tout ce que nous dirions, moi pour affirmer ces faits, vous pour les nier, ne ferait pas grande impression. Quand donc le juge prêterait-il l’oreille ? Quand serait-il attentif ? ce serait lorsque Dion paraîtrait lui-même, ainsi que tous ceux qui auraient pris part à ses affaires ; lorsqu’on découvrirait que, pendant les jours même où Dion plaidait sa cause, il contractait des emprunts, retirait ses créances, vendait ses domaines ; lorsqu’on produirait les registres de personnes dignes de foi ; lorsque ceux qui fournirent les fonds déclareraient avoir appris dès lors que ces emprunts étaient destinés à Verrès ; lorsque les amis, les hôtes, les hommes honorables qui protègent Dion affirmeraient qu’ils ont appris les mêmes choses. C’est alors, j’en suis certain, que vous écouteriez comme vous avez fait ; c’est alors que se plaiderait réellement la cause. Or, dans la première action, je vous ai présenté tous les chefs d’accusation de manière qu’il n’y en eût aucun sur lequel personne d’entre vous eût besoin de développements. J’affirme que dans tout ce qui a été dit par les témoins, il n’y a rien eu d’obscur pour aucun de vous, rien qui réclamât l’éloquence d’un orateur.

XI. Il vous souvient, en effet, que dans l’audition des témoins, mon plan fut toujours de commencer par exposer et développer les griefs, et de n’interroger chaque témoin qu’après avoir expliqué le fait sur lequel je l’interrogeais. Ainsi, non seulement vous qui êtes nos juges, vous vous rappelez nos griefs, mais le peuple romain lui-même connaît toute l’accusation, toute la cause et cependant je parle de ce que j’ai fait, comme si je l’avais fait volontairement, comme si vos manœuvres ne m’y avaient pas obligé ! Vous avez aposté un accusateur qui, demanda cent huit jours pour aller en Achaïe, lorsque j’en avais demandé cent dix pour me rendre en Sicile. Avez-vous pensé qu’en m’enlevant trois mois, c’est-à-dire le temps le plus favorable à la cause, j’abandonnerais ce qui resterait de cette année ; et que, si j’usais du temps qui m’était accordé, vous profiteriez des deux fêtes qui surviendraient, pour ne répondre qu’au bout de quarante jours ; enfin que l’affaire traînant en longueur, nous aurions pour juges, au lieu du préteur M. Glabrion et d’une grande partie de ses assesseurs, un autre préteur et un autre tribunal ? Si je n’avais pas dé-