Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/128

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il les conserva sans porter atteinte ni à sa probité, ni aux usages de nos ancêtres, ni aux obligations que le sort venait de lui imposer.

XV. En effet, si nous voulons porter le trouble et la confusion dans toutes ces choses ; si le sort ne nous commande plus une soumission religieuse ; si les liens qui doivent nous unir dans la bonne et dans la mauvaise fortune ont perdu leur sainteté ; si les mœurs et les maximes de nos ancêtres n’ont plus d’autorité, nous remplissons notre vie de périls, de soupçons et de haines. Celui qui s’est montré l’ennemi des siens est l’ennemi de tous. Jamais homme sage n’a pensé qu’on dût se fier à un traître. Sylla lui-même, qui certes devait se réjouir de l’arrivée de ce transfuge, l’éloigna de sa personne et de son armée. Il lui fixa pour lieu de résidence Bénévent, ville qu’il savait très attachée à son parti, et où cet homme ne pourrait nuire au succès de sa cause. Néanmoins, il le récompensa depuis libéralement : il lui donna dans le territoire de Bénévent quelques biens de proscrits à piller ; il lui accorda un salaire comme à un traître, mais non sa confiance, comme à un ami. Quoiqu’il y ait encore des gens qui détestent Cn. Carbon, même après sa mort, ils ne doivent pas considérer ce qu’ils lui souhaitaient pendant sa vie, mais ce qu’ils auraient à craindre dans une position semblable. C’est un mal commun, une crainte commune, un danger qui nous menace tous. Il n’y a pas d’embûches plus secrètes que celles qui se cachent sous les apparences du devoir, ou sous le masque de l’amitié. Car, si l’on a affaire à un ennemi déclaré, on peut aisément lui échapper par la défiance ; tandis que ce mal secret, intérieur, domestique, non seulement ne paraît pas au dehors, mais nous accable avant que nous ayons pu l’apercevoir et l’étudier. Eh ! n’en est-il pas ainsi ? vous avez été envoyé comme questeur à l’armée, vous avez eu le trésor en garde, vous avez même été le confident du consul dans toutes ses affaires, il vous a traité comme un de ses enfants, d’après l’usage de nos ancêtres ; et tout à coup, vous le quittez, vous le trahissez, vous passez dans les rangs de ses ennemis ! Misérable ! monstre digne d’être relégué aux extrémités de la terre ! car un être qui a commis un tel forfait ne saurait se contenter d’un seul crime. C’est une nécessité pour lui d’en méditer de semblables ; une nécessité de montrer toujours la même audace, la même perfidie. Aussi ce même homme, que Cn. Dolabella prit pour vice-questeur, après le meurtre de C. Malléolus (je ne sais si ces liens n’étaient pas plus étroits que ceux qui l’attachaient à Cn. Carbon, et si un choix librement fait ne doit pas avoir plus de force que le choix du sort), cet homme, dis-je, fut pour Cn. Dolabella ce qu’il avait été pour Cn. Carbon. Il lui imputa ses propres crimes, et révéla tous les détails de l’affaire à ses ennemis et à ses accusateurs ; après avoir été son lieutenant, son vice-questeur, il déposa contre lui de la manière la plus acharnée, la plus infâme. L’infortuné fut la victime, non seulement d’une abominable perfidie et d’un odieux témoignage, mais surtout de la haine qu’avaient inspirée les brigandages et les crimes de Verrès.

XVI. Maintenant, que ferez-vous de cet homme ? Qui pourrait vous porter à conserver un être aussi affreux, aussi pervers, lui qui n’a respecté ni le choix volontaire dans Cn. Dolabella, ni la