Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/172

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jours été auprès de vous, il aurait du moins ménagé soigneusement votre réputation, et surtout la sienne. Pourquoi donc accuser les autres ? Pensez-vous pouvoir rejeter vos fautes sur quelqu’un, et même les partager avec un autre ? On rendit donc aux Syracusains ces deux cent-cinquante mille sesterces ; mais des témoins et des pièces vous prouveront, juges, comment ils sont revenus à Verrès par une voie secrète.

XXI. C’est cette iniquité, juges, c’est ce partage de la succession d’Héraclius, malgré le sénat et le peuple de Syracuse, qui ont produit tous les crimes commis au nom de Verrès par Théomnaste, Eschrion, Dionysodore et Cléomènes, et que la ville a vus avec tant d’indignation : la ville entière fut spoliée, comme je vous le prouverai tout à l’heure. Verrès enleva toutes les statues, tout l’ivoire des édifices sacrés, tous les tableaux ; et cela par les mains des mêmes agents que je viens de signaler, et qui, pour comble d’impudence, dans le sénat de Syracuse, près de la statue d’airain de M. Marcellus, dans ce lieu si célèbre et si respecté qu’il rendit aux Syracusains, quand il eut pu le leur enlever par le droit de la victoire, osèrent ériger deux statues dorées à Verrès et à son fils, comme s’ils avaient voulu que les sénateurs de Syracuse ne pussent pas se rassembler sans gémir et sans verser des pleurs tant qu’ils verraient au milieu d’eux l’image de cet homme. C’est encore par ces misérables complices de ses crimes, de ses rapines et de ses débauches, qu’il fit abolir la fête de Marcellus, malgré les plaintes de la cité, qui célébrait cette fête avec joie autant pour reconnaître les services récents de Caïus Marcellus, que pour honorer le nom même des Marcellus et de toute cette illustre famille. Mithridate, devenu maître de l’Asie, n’abolit pas la fête de Mucius. Un ennemi, quel ennemi ! respecta le culte rendu à un mortel, culte consacré par la religion même des dieux ; et vous, Verrès, vous n’avez pas voulu que les Syracusains donnassent un seul jour à la fête de ces Marcellus auxquels ils devaient de pouvoir célébrer d’autres fêtes. Il est vrai que vous les avez dédommagés en leur fixant un jour pour célébrer la fête de Verrès, jour glorieux pour lequel vous avez fait assigner les fonds nécessaires, pendant de longues années, pour les festins et les sacrifices. N’est-il pas permis de rire de cette incroyable impudence ? faut-il toujours nous indigner, toujours gémir ? Le jour, la voix, les forces me manqueraient, si je voulais faire comprendre, comme je le voudrais, combien il est déplorable, combien il est indigne qu’il y ait une fête de Verrès chez des peuples qui ne voient en lui que l’auteur de leurs désastres. Quelle fête admirable ! dans quel pays avez-vous été où vous n’ayez pu l’établir ? quelle maison, quelle ville, quel temple avez-vous visités, sans que les richesses qui s’y trouvaient n’aient disparu tout à coup ? Que ces fêtes soient donc appelées « Verrea », j’y consens, puisqu’elles rappellent, avec votre nom, votre caractère et vos rapines.

XXII. Voyez, juges, avec quelle facilité se propage l’injustice, quelle force peut prendre l’habitude du mal et combien il est difficile de les réprimer ! Il existe une petite ville près de Syracuse, une ville peu considérable, nommée Bidis.