Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/193

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paraît né avec une aptitude merveilleuse pour seconder les passions honteuses et les dissolutions de Verrès ; aller à la découverte, rendre visite, nouer des conversations, séduire, mettre en œuvre dans ces sortes de poursuites toute la finesse, toute l’audace, toute l’effronterie imaginables ; voilà où il excellait, outre une merveilleuse invention dans les moyens de friponnerie ; car Verrès, quoique d’une avidité insatiable et toujours menaçante, était sans génie et sans imagination, et vous avez pu voir à Rome, qu’abandonné à lui-même il semblait bien plutôt ravir par violence que dérober par adresse. Mais tel était le talent et la prodigieuse sagacité de Timarchide, que, dans toute la province, quels que fussent les besoins et les affaires de chacun, il savait les découvrir, les suivre à la piste ; il connaissait les adversaires, les ennemis de tout le monde ; il leur parlait, les sondait ; il pénétrait les motifs, les sentiments, les ressources des uns et des autres ; aux uns, selon leur caractère, il inspirait de la crainte ; aux autres, selon le besoin, il offrait des espérances. Tout ce qu’il y avait d’accusateurs et de délateurs était à ses ordres. Voulait-il susciter une affaire à quelqu’un, il en venait aisément à bout ; décrets, ordonnances, lettres de Verrès, il vendait tout avec une habileté et une adresse singulières. Mais il ne se contentait pas d’être le ministre des passions de son maître ; il songeait à lui-même. Non-seulement il ramassait d’ordinaire les petites sommes négligées par Verrès, et dont il s’est fait un revenu énorme, mais encore il recueillait les restes de ses plaisirs et de ses infamies. Aussi, en Sicile, n’est-ce pas un Athénion, car il n’a pris aucune place, mais le fugitif Timarchide, qui, pendant trois années, a régné, sachez-le bien, sur toutes les villes de la Sicile ; c’est au pouvoir d’un Timarchide que les alliés les plus anciens et les plus fidèles du peuple romain ont vu leurs enfants, leurs femmes, leurs biens, leurs fortunes. Voilà l’homme, qui, en cette occasion, envoyait après en avoir été payé, des censeurs à toutes les villes : sous la préture de Verrès, il n’y eut pas de comices, même simulés, pour l’élection des censeurs.

LV. Mais voici le comble de l’impudence : on ordonna ouvertement, et sans doute conformément aux lois, à chaque censeur de payer trois cents deniers pour la statue du préteur. Cent trente censeurs furent nommés : ils donnèrent cette somme comme prix de leur charge, secrètement et contre les lois ; de plus, ils contribuèrent ouvertement et conformément aux lois pour une autre somme de trente-neuf mille deniers pour la statue de Verrès. D’abord pourquoi une aussi forte somme ? Ensuite, pourquoi des censeurs contribuaient-ils pour votre statue ? Le collège des censeurs forme-t-il un ordre, une classe particulière de citoyens ? Ce sont ou les villes au nom de l’État qui rendent de tels honneurs, ou certaines classes de citoyens, comme les laboureurs, les commerçants, les armateurs. Mais pourquoi les censeurs plutôt que les édiles ? En reconnaissance de quelque bienfait ? Vous avouerez donc qu’ils vous ont demandé leurs charges (qu’ils vous les ont achetées, vous n’oseriez le dire) ; que vous leur avez conféré cette magistrature, à titre de bienfait, non dans l’intérêt de la république ? Mais, quand vous ferez cet aveu, doutera-t-on que vous n’ayez bravé la haine et la vengeance des peuples de cette province, non par une ambition de popularité ou pour répandre des bienfaits, mais pour amasser de l’argent ? Aussi,