Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/224

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vie ? Chaque jour, vous entendiez les gémissements et les plaintes de la Sicile ; vous vous attendiez, comme vous l’avez dit, à être accusé ; vous n’étiez pas sans inquiétude sur le péril où vous jetterait l’accusation, et vous auriez souffert que les laboureurs fussent vexés et pillés d’une manière si injuste et si odieuse ! Assurément, malgré votre cruauté, malgré votre audace, vous n’auriez pas voulu soulever contre vous toute cette province, vous faire des ennemis de tant d’hommes si honorables, si l’amour des richesses et l’appât d’un gain présent ne l’eussent emporté dans votre esprit sur la considération même de votre sûreté.

Comme il serait trop long, Romains, de vous faire connaître la nature et le nombre des dommages de chacun ; comme je ne pourrais faire une énumération exacte de toutes les vexations de Verrès, je me borne à quelques-unes.

XXI. Nymphon, de Centorbe, est un homme actif et industrieux, cultivateur très vigilant et très habile. Il avait pris à ferme une quantité considérable de terres, suivant l’usage pratiqué en Sicile même par les hommes qui, comme lui, ont de la fortune ; et il n’épargnait, pour les faire valoir, ni dépenses, ni instruments de labourage : les énormes vexations de Verrès le contraignirent d’abandonner toute culture ; il s’enfuit même de Sicile, et vint à Rome avec beaucoup d’autres qu’avait chassés le préteur. D’après l’instigation de Verrès, d’après ce bel édit qui n’était fait que pour ces sortes de rapines, Apronius prétendit que Nymphon n’avait pas déclaré le nombre de ses arpents. Nymphon voulait se défendre en justice réglée ; le préteur donne pour commissaires de très honnêtes gens, son médecin Cornelius (c’est le même qui, sous le nom d’Artémidore, dans Perga sa patrie, avait aidé si puissamment Verrès à piller le temple de Diane), Volusius l’aruspice, et Valérius le crieur public. Avant que le délit pût être bien établi, Nymphon est condamné. Vous demandez peut-être à combien ? Il n’y avait point de peine fixée par l’édit. Il est condamné à donner tout le blé qu’il avait récolté. Ainsi le décimateur Apronius, en vertu de l’édit, et non par aucun droit de son bail, enlève, non la dîme qui était due, non le blé qui avait été détourné et caché, mais toute la récolte de Nymphon, sept mille médimnes de blé.

XXII. Xénon de Ména, est un des hommes les plus distingués : un champ appartenant à sa femme avait été affermé à un homme qui, ne pouvant tenir contre les vexations des décimateurs, avait pris la fuite. Verrès donnait action contre Xénon pour déclaration fausse. Xénon opposait une fin de non-recevoir. Le champ est affermé, disait-il. Verrès voulait que, s’il était prouvé qu’il y avait plus d’arpents que le fermier n’en avait déclaré, Xénon fût condamné. Ce n’est pas moi, disait celui-ci, qui ai cultivé cette terre, ce qui suffisait pour l’absoudre ; mais, de plus, le champ ne m’appartient pas ; je n’ai point passé le bail ; c’est la propriété. de ma femme ; elle veillait elle-même à ses intérêts, elle l’a seule donné à ferme. Xénon avait pour défenseur un homme de la plus haute considération et du plus grand poids, M. Cossétius. Le préteur néanmoins donnait contre lui action de quatre-vingt mille sesterces[1]. Le Sicilien, quoique certain d’avoir des commis-

  1. 10 000 livres