Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/226

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lance pour les citoyens romains ; je supprime tous ces détails, je les réserve pour un autre temps : je parle ici des dîmes, de la condition des citoyens romains agriculteurs. Ils vous ont appris eux-mêmes, dans leurs dépositions, comment on les a traités. On les a dépouillés de leurs biens ; ils vous l’ont dit. Mais, puisqu’il en donne un motif, passons-lui ces outrages ; pardonnons-lui ces abus d’autorité, ce mépris de toute justice, de tous les usages ; il n’est pas, enfin, de pertes si considérables, que des hommes courageux et doués d’une âme grande et libre, ne croient devoir supporter. Oui ; mais s’il est prouvé que, sous la préture de Verrès, Apronius n’hésitait point à frapper des chevaliers romains, non pas obscurs et inconnus, mais respectables, distingués, illustres, qu’attendent nos juges ? qu’exigent-ils encore de moi ? Faut-il passer plus rapidement sur ce qui regarde Verrès pour en venir plus tôt à Apronius, comme je le lui ai promis dès le temps où j’étais en Sicile ? Apronius a retenu prisonnier pendant deux jours, dans la place publique de Léontini, C. Matrinius, dont le crédit égale le mérite et la vertu. Oui, Romains, un Apronius, né dans l’opprobre, voué à l’infamie, ministre des débauches et des dissolutions de Verrès, a tenu deux jours un chevalier romain sans abri et sans nourriture ; il l’a fait garder à vue par ses gens, deux jours entiers, à Léontini, dans la place publique, et il ne l’a relâché qu’après l’avoir contraint de faire un arrangement dont il lui a dicté les conditions.

XXV. Que dirai-je de Q. Lollius, aussi chevalier romain, non moins recommandable par sa vertu que par son rang ? Le fait dont je vais parler est incontestable, répandu et connu dans toute la Sicile. Lollius se livrait à l’agriculture dans le territoire d’Etna, abandonné avec tant d’autres à la tyrannie d’Apronius. Plein de confiance dans le crédit et l’autorité dont jouissait jadis l’ordre équestre, il protesta qu’il ne donnerait aux décimateurs que ce qu’il leur devait. On rapporte son discours à Apronius. Il se met à rire, étonné que Lollius ne fût pas instruit de ce qui était arrivé à Matrinius et à d’autres encore. Il lui envoie des esclaves de Vénus. Remarquez, Romains, que les huissiers du décimateur lui étaient désignés par le préteur ; et voyez si c’est une faible preuve que Verrès se servait du nom des décimateurs pour son profit personnel. Lollius est mené, ou plutôt traîné, par les esclaves de Vénus, devant Apronius, juste au moment où celui-ci, de retour du gymnase, était couché dans une salle à manger qu’il avait fait construire sur la place publique d’Etna. Lollius est laissé debout dans un festin dissolu d’infâmes gladiateurs. Non, ce que je vous raconte je ne le croirais pas, juges, malgré le témoignage public, si le vieillard, me remerciant, les larmes aux yeux, d’avoir bien voulu me charger de l’accusation, ne m’eût parlé lui-même de ce fait avec toute la gravité de son caractère. Ainsi je le répète, un chevalier romain, âgé de près de quatre-vingt-dix ans, est laissé debout au milieu des convives d’Apronius, tandis qu’Apronius se frottait avec des parfums la tête et le visage. Eh bien ! Lollius, lui dit-il, vous ne pouvez donc vous ranger à votre devoir, à moins que les rigueurs ne vous y contraignent ? Lollius, que sa vertu et ses années rendaient si respectable, ne savait s’il devait se taire ou répondre ; il restait immobile.