Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/239

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la plupart des laboureurs n’ont aujourd’hui aucune ressource ; et que s’il en est à qui l’on ait remis ou laissé quelque chose, c’est seulement parce que la cupidité de Verrès se trouvait satisfaite jusqu’à satiété.

XLIV. Il ne me reste plus à parler, Romains, que de deux villes dont les territoires sont à peu près les meilleurs et les plus fameux de la Sicile, Etna et Léontini. Je négligerai même les gains que Verrès a faits pendant trois ans sur ces territoires ; je ne prendrai qu’une année, pour mieux développer ce que j’ai à dire. Je choisirai la troisième année, parce que c’est la plus récente, et que Verrès, près de quitter la Sicile, paraît s’être peu inquiété s’il y laisserait un seul cultivateur. Je vais donc m’occuper des dîmes d’Etna et de Léontini. Je vous demande, Romains, toute votre attention : il s’agit de cantons fertiles ; c’est la troisième année ; le décimateur est Apronius.

Je dirai fort peu de chose des habitants d’Etna dans la première action, ils ont déposé eux-mêmes au nom de leur ville. Vous vous le rappelez ; Artémidore, d’Etna, chef de la députation, disait au nom de sa ville, qu’Apronius était venu à Etna avec des esclaves de Vénus ; qu’il avait mandé les magistrats, leur avait ordonné de lui dresser des tentes au milieu de la grande place ; qu’il faisait tous les jours des festins publics et aux frais du public, festins où retentissaient de bruyants concerts, où l’on buvait dans de grandes coupes ; qu’on y mandait les cultivateurs, qu’on leur faisait donner injustement, et même avec outrage, autant de blé qu’en exigeait Apronius. Vous avez entendu, Romains, certifier tous ces faits que je passe et supprime aujourd’hui. Je ne dis rien du faste d’Apronius et de son insolence, rien de ses débauches et de ses infamies ; je me borne à parler des gains qu’il a faits sur un seul territoire et dans une seule année ; vous pourrez juger par là des trois années et de toute la Sicile. Ce que j’ai à dire des habitants d’Etna sera court : ils sont venus eux-mêmes, ils ont apporté les registres de leur ville, et vous ont instruits des gains modestes qu’a faits un homme simple, le bon ami du préteur, Apronius. Écoutez de nouveau, je vous prie, la déposition des habitants. Lisez. DÉPOSITION DES HABITANTS D’ETNA.

XLV. Que dites-vous ? parlez, je vous prie, parlez plus distinctement ; que le peuple romain entende ce qui intéresse ses revenus, ses laboureurs, ses alliés, ses amis. TROIS CENT MILLE BOISSEAUX ET CINQUANTE MILLE SESTERCES. Dieux immortels ! un seul territoire, une seule année produire à Apronius un bénéfice de trois cent mille boisseaux et cinquante mille sesterces ! Les dîmes ont-elles donc été affermées beaucoup moins qu’elles ne pouvaient l’être ? ou bien si elles étaient affermées à un prix assez élevé, a-t-on enlevé de force aux cultivateurs tout ce blé, tout cet argent ? Quoi que vous disiez, Verrès, Apronius sera toujours coupable, toujours criminel. Vous ne direz pas, sans doute, comme je le voudrais bien, qu’Apronius n’a pas fait d’aussi énormes profits ; car je vous convaincrai, non seulement par les registres de la ville, mais encore par les conventions et par les registres des agriculteurs, de manière à vous faire comprendre que vous n’avez pas mis plus de soin à exercer vos rapines que je n’en ai mis à les découvrir. Soutiendrez-vous cette seule accusation ? qui pourra la réfuter ? quels juges, en les supposant même gagnés à votre cause, n’y céderaient pas ? Du premier abord,