Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/262

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tièrement dépouillés. Cette malversation énorme a été comme ensevelie et perdue dans les ténèbres épaisses dont la république était alors enveloppée. Il a géré une seconde fois sous Dolabella une questure qui lui était échue par succession ; il s’est approprié des sommes d’argent considérables mais il a brouillé le compte qu’il en devait rendre en le mêlant avec la condamnation de Dolabella. Nommé préteur de Sicile, on lui a remis des sommes immenses : il ne les a point détournées peu à peu d’une main timide par de honteux larcins ; il a englouti à la fois tout cet argent du trésor. C’est ainsi que la mauvaise habitude de Verrès ne trouvant pas de frein, un vice qui, chez lui, n’est que trop naturel, va croissant toujours, au point que lui-même ne saurait plus mettre de bornes à son audace. Il est donc enfin convaincu, et manifestement convaincu, des plus graves malversations, et les dieux me semblent avoir ainsi voulu, en permettant qu’il comblât la mesure, et lui infliger la peine due à ses derniers forfaits, et venger Carbon et Dolabella de ses premiers crimes.

LXXVII. Ici, Romains, se présente une réflexion nouvelle qui dissipe tous les doutes sur les vexations qui regardent les dîmes. Je ne dirai pas, Verrès, qu’une infinité d’agriculteurs, n’ayant pas de quoi fournir à la seconde dîme et aux huit cent mille boisseaux de blé qu’ils devaient vendre au peuple romain, ont acheté du blé à Apronius, votre agent ; ce qui prouve que vous n’aviez rien laissé aux agriculteurs. Je passe ce fait démontré par une foule de dépositions ; mais quoi de plus incontestable que, pendant trois ans, vous avez eu en votre pouvoir et dans vos magasins tout le blé de la Sicile, toutes les récoltes des terres sujettes au dîmes ? En effet, lorsque vous exigiez de l’argent des villes au lieu de blé, où preniez-vous du blé pour l’envoyer à Rome, si vous ne possédiez pas tout le blé de la Sicile, si vous ne le teniez pas dans vos magasins ? Ainsi, le premier gain que vous avez fait dans cette partie, c’est le blé même que vous aviez enlevé aux cultivateurs. Le second gain, c’est que ce blé, amassé pendant trois ans par des voies iniques, vous l’avez vendu, non une fois, mais deux ; c’est que vous avez vendu, à deux différents prix, un seul et même blé, d’abord aux villes dont vous avez exigé quinze sesterces par médimne, ensuite au peuple romain, à qui vous avez pris, par médimne, dix-huit sesterces pour le même blé.

Mais vous avez, direz-vous, accepté le blé des peuples de Centorbe, d’Agrigente, de quelques autres villes encore, et vous leur avez donné de l’argent. À la bonne heure, qu’il y ait quelques villes, dans le nombre, dont vous n’ayez pas voulu rejeter le blé. Mais enfin avez-vous payé à ces villes tout l’argent qui leur était dû pour leur blé ? Trouvez-nous, je ne dis pas un seul peuple, mais un seul agriculteur ; voyez, cherchez, regardez de tous côtés ; examinez si, par hasard, il en est quelqu’un, dans une province que vous avez gouvernée pendant trois ans, qui ne désire votre condamnation. Oui, parmi ces agriculteurs qui ont contribué pour votre statue, nommez-en un seul qui dise avoir reçu, pour son blé, toute la somme qu’on devait lui payer. Je le soutiens, juges, il ne s’en trouvera pas un qui le dise.

LXXVIII. De tout l’argent que vous deviez payer aux cultivateurs, on faisait des déductions