Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obtenues sur le théâtre, ont acheté une charge de greffier, et ont cru passer du premier ordre des histrions sifflés dans le second ordre des citoyens. Je prendrai, Hortensius, je prendrai pour juges de notre discussion les greffiers qui voient avec peine ces sortes de gens dans leur corps. Au reste, si nous trouvons beaucoup de sujets ineptes ou pervers dans le premier ordre de l’État, dans un ordre où l’on doit voir la récompense du talent et de la vertu, serons-nous surpris qu’il se rencontre de misérables gens dans une profession à laquelle tout le monde peut parvenir avec de l’argent ?

LXXX. Quand vous convenez, Verrès, que vous avez permis à votre greffier de prendre sur les deniers du trésor un million trois cent mille sesterces, croyez-vous qu’il vous reste quelque défense ? croyez-vous qu’on puisse souffrir une telle conduite ; qu’aucun de vos défenseurs mêmes entende avec plaisir que, dans une ville où un personnage consulaire, d’une naissance illustre, Caïus Caton, s’est vu condamné à une restitution de dix-huit mille sesterces, dans cette même ville vous avez, sur un seul article, accordé à votre appariteur un million trois cent mille sesterces ? Voilà, sans doute, ce qui lui a mérité cet anneau d’or dont vous l’avez gratifié en pleine assemblée récompense donnée avec une singulière effronterie, et qui paraissait aussi nouvelle à tous les Siciliens qu’elle me semblait incroyable à moi-même. Souvent, il est vrai, nos généraux, après avoir vaincu les ennemis et rendu à l’État d’importants services, ont décoré publiquement leurs secrétaires de l’anneau d’or ; mais vous, après quels services, après quelle victoire avez-vous osé convoquer une assemblée pour accorder le même honneur ? Et vous ne vous êtes pas contenté d’honorer d’un anneau d’or votre greffier ; vous avez donné une couronne, une écharpe et un collier à Q. Rubrius, homme d’un vrai mérite et bien différent de vous, que sa vertu, son rang, et ses richesses distinguent également ; à M. Cossutius, personnage des plus intègres et des plus honorables ; à M. Castritius, qui joint à beaucoup de talent un grand crédit et une grande considération. Que voulaient dire les récompenses accordées à ces trois citoyens romains ! Vous avez encore récompensé les plus puissants et les plus renommés des Siciliens, qui n’en ont pas été, contre votre espoir, moins ardents à vous poursuivre, mais qui sont venus déposer contre vous, quoique honorés par vous-même. Quelle victoire, je le répète, quelles dépouilles remportées sur les ennemis, quel butin fait sur eux, vous ont autorisé à distribuer ces récompenses ? Est-ce parce que, sous votre préture, une très belle flotte, le rempart de la Sicile et la défense de cette province, tombée au pouvoir de quelques bâtiments légers, a été brûlée par les mains des pirates ? est-ce parce que le territoire de Syracuse, sous votre administration, a été la proie des flammes allumées par la main des brigands maritimes ? est-ce parce que le forum de Syracuse a regorgé du sang des capitaines siciliens ? est-ce parce qu’un faible navire de pirates a vogué librement dans le port de Syracuse ? Je ne puis trouver la raison qui vous a jeté dans cette extravagance ; à moins peut-être que vous n’ayez voulu empêcher qu’on ne pût même oublier vos succès malheureux.

Vous avez donc décoré votre greffier d’un an-