Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/270

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tunes des laboureurs, et les déplora, dit-on, avec énergie et gravité. Ce qui révoltait le plus les assistants (et l’assemblée était nombreuse), c’est qu’un arrangement que le sénat, dans sa sagesse et sa bonté avait fait à l’avantage des cultivateurs, en décrétant généreusement une estimation favorable à leurs intérêts, eût été, pour un prêteur, une occasion de les piller et de s’emparer de leurs biens, et qu’il se fût même porté à cette rapine, comme si elle lui avait été expressément permise. Que répondra Hortensius ? Que l’imputation est fausse ? Il ne le dira jamais. Que, par ce moyen, Verrès n’a pas tiré de très fortes sommes d’argent ? Non, il ne le dira point. Que ce n’est pas une vexation exercée sur les Siciliens et sur les agriculteurs ? Comment le pourra-t-il dire ? Que dira-t-il donc ? que d’autres ont fait de même. Comment ! est-ce là détruire l’imputation d’un délit, ou chercher pour l’accusé des compagnons d’exil ? Quoi ! dans cette république, au milieu des excès qui y règnent, et même, grâce à la manière dont la justice est rendue, au milieu de la licence universelle, vous défendrez une action qu’on attaque ; vous la défendrez, non par le droit, non par la justice, non par la loi, non parce qu’on devait, non parce qu’on pouvait la faire, mais parce qu’un autre l’a faite ! D’autres magistrats ont mérité bien d’autres reproches : pourquoi donc emploie-t-on une telle défense dans ce seul délit ? Verrès, vous avez commis des crimes qui n’appartiennent qu’à vous, qui ne peuvent convenir qu’à vous, qui ne peuvent être imputés à nul autre homme ; il en est qui vous sont communs avec d’autres. Sans parler de vos péculats, de l’argent qu’on vous a donné pour obtenir justice, et de plusieurs iniquités pareilles, que d’autres se sont aussi permises, défendrez-vous, par le même moyen, le délit que je vous ai reproché avec tant de force, d’avoir reçu de l’argent pour rendre la justice ? direz-vous que d’autres ont fait de même ? Quand j’en conviendrais avec vous, je ne recevrais pas néanmoins votre défense ; car il vaut mieux, en vous condamnant, ôter à vos pareils les moyens de défendre leurs actions perverses, que de paraître, en vous absolvant, justifier les excès de leur audace.

LXXXIX. Toutes les provinces gémissent, tous les peuples libres se plaignent, enfin tous les royaumes crient contre nos vices et nos vexations : il ne reste plus, jusqu’à l’Océan, aucun lieu si reculé, si caché, où n’aient pénétré, de nos jours, l’iniquité et la tyrannie de nos concitoyens. Le peuple romain ne peut plus soutenir, non la force, non les armes, non les révoltes, mais les gémissements, mais les larmes, mais les plaintes de toutes les nations. Dans de telles circonstances et au milieu de pareilles mœurs, si un accusé, convaincu des plus honteuses malversations, vient dire que d’autres ont fait de même, il trouvera assez d’exemples ; mais la république aussi trouvera sa ruine et sa fin, si les méchants s’appuient de l’exemple des méchants pour échapper à la justice et aux châtiments. Les mœurs présentes vous plaisent-elles ? vous plaît-il qu’on exerce les magistratures comme on les exerce ? vous plaît-il que les alliés soient traités éternellement comme vous les voyez traités aujourd’hui ? Pourquoi ces vains efforts de ma part ? Pourquoi restez-vous sur vos siéges ? pourquoi ne pas vous lever et vous retirer au milieu de mon discours ? Mais voulez-vous réprimer au moins en partie l’audace et la tyrannie de ces pervers ?