raient jamais été si agréables au peuple romain : vous n’aviez fait distribuer par tête qu’un boisseau et demi ; et tout le monde reçut avec un plaisir extrême votre largesse qui, modique en elle-même, parut considérable eu égard aux circonstances. Si vous eussiez voulu distribuer au peuple la même quantité de blé lorsqu’il était à bas prix, on eût méprisé et rejeté votre bienfait.
XCIII. Ne dites donc pas : Verrès a fait comme Sacerdos. Il ne l’a fait, ni dans le même temps, ni lorsque le blé était au même prix. Dites plutôt, puisque vous avez dans Antonius une autorité suffisante : Verrès a fait pendant trois ans ce que Antonius n’a fait qu’à son arrivée, et à peine pour les provisions d’un mois ; défendez l’intégrité de Verrès par la conduite et l’exemple de M. Antonius. Quant à Sext. Péducéus, homme d’une fermeté et d’une probité remarquables, qu’en direz-vous ? quel agriculteur s’est jamais plaint de lui ? ou plutôt, qui est-ce qui ne l’a pas regardé jusqu’à ce jour comme le plus exact et le plus intègre des préteurs ? Il a gouverné deux ans la province : dans l’une des deux années, le blé était à bas prix, dans l’autre il était fort cher. Lorsqu’il était à bas prix, le cultivateur a-t-il donné un sesterce ; et, pendant la cherté, s’est-il plaint de l’estimation ? Mais dans la cherté, dira-t-on, ses provisions lui ont été d’un plus grand rapport. Je le crois : ce n’est une chose ni nouvelle, ni blâmable. Quel homme que C. Sentius ! quelle probité antique et rare ! Nous l’avons vu dernièrement tirer beaucoup d’argent de ses provisions, à cause de la cherté des grains en Macédoine. Ainsi, Verrès, je ne vous envie pas les bénéfices que vous avez pu retirer par des voies légitimes, je me plains de vos exactions, je vous reproche vos rapines, je condamne et je dénonce à la justice votre cupidité.
Voulez-vous faire soupçonner que cette accusation tombe sur plus d’un préteur et intéresse plus d’une province, cette défense ne m’effrayera pas : je me déclarerai le défenseur de toutes les provinces. Car je le dis, et je le dis à haute voix : partout où l’on a agi ainsi, l’on a agi injustement ; quiconque a tenu la même conduite mérite d’être puni.
XCIV. En effet, Romains, je vous le demande au nom des dieux, voyez, considérez l’avenir. Beaucoup de magistrats, ainsi que Verrès, sous prétexte des provisions de leur maison, ont exigé des villes et des agriculteurs de fortes sommes d’argent (pour moi, je n’en vois pas d’autres que Verres, mais je veux bien convenir qu’il y en ait un grand nombre) ; vous voyez dans sa personne ce délit porté en justice : que pouvez-vous faire ? Vous, établis juges des malversations, fermerez-vous les yeux sur une malversation si révoltante ? La loi a été faite pour les alliés, refuserez-vous d’entendre les plaintes des alliés ? Mais, j’y consens, négligez le passé, si vous voulez ; du moins ne détruisez pas toutes nos espérances pour l’avenir ; ne ruinez pas toutes les provinces : l’avarice auparavant ne marchait que par des sentiers étroits et détournés ; prenez garde de lui ouvrir, par vos décisions, une voie large et spacieuse. Oui, si vous approuvez la conduite de Verrès, si vous décidez qu’il n’est pas défendu par la loi de prendre de l’argent sous le même prétexte, tout le monde, excepté les sots, fera ce qu’ont pu faire seuls des magistrats crimi-