Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/281

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Praxitèle, de Myron, de Polyclète, ont été vendues à Verrès six mille cinq cents sesterces[1]. Lisez: REGISTRES D'HÉIUS. J'aime à voir ces noms fameux d'artistes, ces noms que les amateurs portent au ciel, rabaissés ainsi par l'estimation de Verrès. Un Cupidon de Praxitèle, seize cents sesterces[2]. Ah ! sans doute c'est de là qu'est né le proverbe : J'aime mieux acheter que demander.

VII. On dira que c'est attacher un grand prix à ces frivolités. Citoyens, je ne les apprécie ni d'après mes principes, ni pour mots usage ; mais je pense que vous devez vous mettre à la place de ceux qui ont cette manie, examiner ce qu'elles valent dans leur opinion, combien elles se vendent communément, quel prix on pourrait donner de celles dont je parle ; dans une vente libre et publique, en un mot ce qu'elles valent aux yeux de Verrès lui-même. Il a payé ce Cupidon quatre cents deniers. Mais, s'il ne l'eût pas estimé davantage, aurait-il voulu, pour un objet aussi modique, braver les propos de la malignité et s'exposer aux reproches les plus honteux ? D'ailleurs, qui de vous ignore le prix de ces choses ? N'avons-nous pas vu dans une vente publique un bronze, d'une grandeur moyenne, payé cent-vingt mille sesterces[3] ? Ne pourrais-je pas citer des personnes qui en ont payé de semblables aussi cher, et même plus cher ? Ce sont là des objets de fantaisie : on ne peut assigner de terme à leur valeur ; elle dépend toute du caprice des acheteurs. Je vois donc qu'Héius n'a point voulu vendre ses statues, qu'il n'a point été contraint par le besoin, qu'il n'a pas été séduit par l'importance de la somme, mais que c'est vous qui, par la force, par la crainte, par l'abus du pouvoir, par une violence colorée du nom d'achat, les avez enlevées et arrachées des mains d'un homme que la république avait mis, avec les autres alliés, sous la sauvegarde de votre puissance et de votre loyauté.

Que me resterait-il à désirer si Héius attestait lui-même ce que je viens de dire ? Certes, mon triomphe serait complet ; mais ne souhaitons pas l'impossible. Héius est de Messine, et Messine est la seule ville qui ait décerné un éloge à Verrès. Détesté du reste des Siciliens, Verrès n'a d'amis qu'à Messine. Or, Héius, le premier citoyen de la ville, est chef de la députation envoyée peur louer Verrès. Organe de la reconnaissance publique, voudrait-il faire entendre ses plaintes personnelles ? J'avais fait ces réflexions. Toutefois j'ai osé me confier à sa probité, je l'ai fait entendre dans la première action ; et je n'avais rien à craindre. Quand Héius aurait été un homme sans principes, quand il aurait démenti son caractère honnête, que pouvait-il répondre ? Que les statues étaient chez lui et non chez Verrès ? L'imposture était trop grossière. Qu'on le suppose le plus vil des mortels, le plus audacieux des imposteurs ; voici tout au plus ce qu'il pouvait dire : J'ai voulu les vendre, et j'en ai reçu le prix que je demandais. Mais ce citoyen respecté dans sa patrie, et jaloux de vous donner une juste idée de sa religion et de sa probité, a déclaré d'abord qu'il louait Verrès au nom de ses concitoyens, parce que telle était sa mission ; ensuite que ses statues n'avaient pas été à vendre, et que, s'il avait été maître de les garder, les offres les plus

  1. 1,462 fr.
  2. 300 fr.
  3. 27,000 fr.