Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/285

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leur faisant voir les privilèges des citoyens anéantis par ce supplice infâme.

XII. C’est trop longtemps oublier les statues d’Héius : vous prétendez, Verrès, les avoir achetées. Et ces tapis attaliques, renommés dans toute la Sicile, avez-vous oublié de les acheter du même Héius ? Vous pouviez faire comme pour les statues. Pourquoi ce défaut de forme ? était-ce pour épargner les écritures ? Sa prévoyance ne s’est pas étendue jusque-la : il a cru qu’on s’apercevrait moins d’un garde-meuble volé que d’un oratoire dépouillé. Mais de quelle manière les a-t-il enlevés ? Je ne puis mieux vous l’expliquer qu’en vous répétant la déposition d’Héius. Je lui demandais si quelque autre de ses effets n’était point passé dans les mains de Verrès. Il m’a fait dire, a-t-il répondu, d’envoyer mes tapis à Agrigente. — Les avez-vous envoyés ? — Il fallait bien obéir au préteur : je les ai envoyés. — Lui sont-ils parvenus ? — Oui. — Sont-ils revenus ? — Pas encore. À cette réponse, le peuple se mit à rire. Et vous, juges, vous frémîtes d’indignation.

Quoi ! Verrès, il ne vous est pas venu dans l’esprit de lui faire écrire qu’il vous les avait vendus six mille cinq cents sesterces ! Craigniez-vous de vous ruiner, en payant six mille cinq cents sesterces ce que vous pouviez aisément vendre deux cent mille sesterces ? Ah ! la précaution n’était pas inutile : vous pourriez répondre aujourd’hui. On ne demanderait pas le prix ; et ce titre serait votre justification. À présent, vous voila dans un embarras inextricable.

Et ces colliers, vrais chefs-d’œuvre de l’art, qui viennent, à ce qu’on dit, du roi Hiéron, les avez-vous pris, les avez-vous achetés à Philarque de Centorbe ? Pendant mon séjour en Sicile, j’ai ouï dire aux habitants de Centorbe et a tous les Siciliens car la chose n’était rien moins qu’un mystère), que vous les avez enlevés à Philarque, comme vous en avez pris d’autres non moins précieux à Ariste de Palerme, et d’autres encore à Cratippe de Tyndare. Et dans le fait, si vous les aviez achetés, pourquoi, lorsque vous avez été cité devant les tribunaux, avez-vous promis à Philarque de les lui rendre ? Il est vrai que, voyant tant de personnes dans le secret, vous avez calculé que, si vous les rendiez, vous ne les auriez plus, et que le vol n’en serait pas moins constaté : en conséquence vous les avez gardés. Philarque a déposé que, connaissant ce que vos amis appellent votre maladie, il avait voulu vous cacher ces colliers ; que, mandé par vous, il avait nié qu’il les eût ; qu’en effet il les avait déposés chez un tiers, afin qu’ils ne fussent pas trouvés chez lui ; mais que rien ne pouvait échappera votre sagacité ; que vous aviez su vous les faire montrer par le dépositaire lui-même ; qu’alors il n’a plus été possible de nier, et qu’il a fallu céder les colliers malgré lui et sans indemnité.

XIII. Il est bon que vous sachiez par quel moyen il parvenait à faire toutes ces découvertes. Il existe deux frères nés a Cibyre. On les nomme Tiépolème et Hiéron. Si je ne me trompe, l’un travaille en cire ; l’autre est peintre. Si je ne me trompe encore, ces deux hommes, soupçonnés d’avoir volé le temple d’Apollon, s’enfuirent de leur pays pour échapper à la rigueur des lois.