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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/303

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ment de sa victoire et le prix de leur fidélité ; qu’il leur a été ravi par la violence, par la scélératesse et le despotisme de Verrès. Au moment de sa première entrée dans la ville, comme si c’eût été pour lui un devoir, que dis-je ? une nécessité pressante, indispensable ; comme s’il n’eût fait qu’exécuter un décret du sénat, une loi du peuple romain, il ordonne sur-le-champ qu’on descende la statue et qu’on la transporte à Messine.

Comme cet ordre révolte ceux qui l’entendent, et que ceux à qui on le répète refusent d’y croire, il n’insiste pas pour ce premier moment ; mais, en quittant la ville, il charge de l’exécution Sopater, proagore, dont vous avez entendu la déposition. Celui-ci résiste. Verrès menace, et part. Le proagore fait son rapport au sénat. La proposition est rejetée à l’unanimité. Bref, à quelques jours de là, le préteur revient, et aussitôt il s’informe de la statue. On lui répond que le sénat refuse, et qu’il est défendu, sous peine de mort, de toucher à la statue sans un ordre du sénat. On joint à cela des motifs de religion. La religion !s’écrie Verrès : le sénat ! des peines ! que m’importe à moi ? Sopater, il y va de la vie. La statue, ou la mort. L’infortuné retourne au sénat, les larmes aux yeux : il expose les menaces de Verrès et la violence de ses désirs. Les sénateurs, sans donner aucune réponse, se retirent pâles et tremblants. Sopater, mandé par le préteur, lui rend compte de tout, et déclare que la chose est impossible.

XL. Observez, car il ne faut rien perdre de l’impudence du personnage, observez que cette scène se passait en public devant une foule de Romains, le préteur siégeant sur son tribunal. On était au fort de l’hiver, et, comme vous l’a dit Sopater, le froid était très-vif ; la pluie tombait avec violence. Il ordonne aux licteurs de le saisir, de le jeter a bas du portique ou était le tribunal, et de le dépouiller. A peine l’ordre est prononcé, et déjà il est nu, au milieu des licteurs. Tout le monde s’attendait à le voir battre de verges. Tout le monde se trompait. Verrès battre de verges, sans aucune raison, un allié, un ami du peuple romain ! Sa perversité ne va pas jusque-là ; il ne réunit pas en lui seul tous les vices à la fois : jamais il ne fut cruel. Il traita Sopater avec douceur et clémence. Il y a dans le forum de Tyndare, ainsi que dans presque toutes les villes de la province, des statues équestres des Marcellus. Il choisit celle de Caïus Marcellus, dont les bienfaits envers Tyndare et la Sicile entière sont les plus récents et les plus signalés. Il ordonne que Sopater, un des principaux citoyens, et alors le premier magistrat de Tyndare, soit lié derrière la statue, les jambes pendantes de l’un et de l’autre côté.

Tâchez de concevoir ce qu’il dut éprouver de douleurs, lié nu sur ce bronze, par une pluie aussi violente, par un froid aussi rigoureux. Ce supplice injurieux et barbare ne cessa pourtant que lorsque la multitude, transportée a la fois d’indignation et de pitié, eut, par ses clameurs, contraint le sénat de promettre la statue à Verrès. Les dieux sauront se venger eux-mêmes, criait-on de toutes parts ; mais en attendant il ne