Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/316

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paraîtraient ici d’une trop faible importance. Je ne dirai point qu’il a enlevé, de tous les temples de Syracuse, des tables delphiques en marbre, de très-belles coupes en airain, une immense quantité de vases corinthiens. Aussi les mystagogues, qui servent de guides aux étrangers, et leur font voir tout ce qu’il y a de curieux, ont-ils changé de méthode : ils montraient autrefois les belles productions des arts ; ils indiquent aujourd’hui la place qu’elles occupaient. Si vous croyez que ces peuples n’en ont ressenti qu’une douleur médiocre, détrompez-vous. D’abord tous les hommes sont attachés aux objets de leur culte ; ils se font un devoir d’honorer et de conserver les dieux de leurs pères : mais de plus, les Grecs se passionnent à l’excès pour leurs statues, leurs tableaux et les autres monuments de ce genre. La vivacité de leurs plaintes fait connaître à quel point ces pertes, qui peut-être vous semblent frivoles, sont cruelles pour eux. On vous l’a dit, et je le répète : de toutes les vexations que nos alliés et les nations étrangères ont essuyées dans ces derniers temps, rien n’a jamais plus chagriné les Grecs que ces spoliations de leurs temples et de leurs villes.

Vainement Verrès continuera de dire qu’il a acheté : daignez m’en croire : nul peuple, dans l’Asie entière, ni dans toute la Grèce, ne vendit volontairement une seule statue, un seul tableau, en un mot, un seul ornement de sa ville. Quand les lois étaient en vigueur, les Grecs, loin de vendre ces objets précieux, les achetaient partout ou ils pouvaient. Pensez—vous qu’ils aient cherché à les vendre, lorsque les tribunaux ont cessé d’être sévères ? Crassus, Scévola, Claudius, ces hommes si puissants, et dont l’édilité fut signalée par tant de magnificence, ne purent se procurer ces chefs d’œuvre par la voie du commerce : le trafic ne s’en est-il établi que pour les édiles nommés depuis la corruption de nos tribunaux ?

LX. Sachez que ces achats simulés leur causent encore plus de douleur qu’un larcin secret, ou qu’un enlèvement à force ouverte : car ils regardent comme une infamie qu’on lise dans leurs registres qu’ils ont été capables de vendre et d’aliéner pour une somme, et pour une somme modique, ce qu’ils avaient reçu de leurs ancêtres. Je le répète, leur passion est extrême pour tous ces objets, qui sont de nul prix à nos yeux. Aussi nos ancêtres voyaient-ils sans peine qu’ils en possédassent un grand nombre. Ils voulaient que, sous notre empire, les villes fussent magnifiques et florissantes ; et lors même qu’ils les soumettaient à des tributs et à des impôts, ils leur abandonnaient ces frivoles jouissances, comme un amusement et une consolation de la servitude. Eh ! quelle somme pourrait déterminer les Rhégiens, aujourd’hui citoyens romains, à céder leur Vénus de marbre ; et les Tarentins, leur statue d’Europe enlevée par un taureau, le Satyre qu’ils ont dans leur temple de Vesta, et leurs autres chefs-d’œuvre ? À quel prix les Thespiens mettaient-ils le Cupidon qui seul attire les curieux