Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/327

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lien d’une naissance et d’une fortune distinguées, avait un fermier pour régir ses vastes possessions. Des gens apostés par vous accusèrent ce fermier, et vous reçûtes du maître soixante mille sesterces. C’est lui-même qui, dans sa déposition, nous a instruits de cette manœuvre. C. Matrinius, chevalier romain, était à Rome. En son absence, vous avez extorqué de lui cent mille sesterces, parce que vous disiez avoir des soupçons sur ses fermiers et ses pasteurs. L. Flavius, son intendant, qui vous a compté la somme, a déposé de ce fait ; Matrinius l’a déclaré lui-même ; et leur déposition sera confirmée par le censeur Cn. Lentulus, qui, dans le temps de cette affaire, vous écrivit et vous fit écrire en faveur de Matrinius. Passerai-je sous silence votre conduite avec Apollonius de Palerme, fils de Dioclès, et surnommé Géminus ? Est-il un fait plus notoire dans toute la Sicile ? une action plus indigne ? une prévarication plus avérée ? Verrès arrive à Palerme ; à l’instant il mande Apollonius ; il le cite à son tribunal en présence d’une foule de citoyens romains. Chacun aussitôt de faire ses réflexions, de s’étonner qu’Apollonius, possesseur de tant de richesses, ait échappé si longtemps au préteur. Verrès, disent-ils, médite quelque projet ; on ne peut prévoir quel crime il va lui supposer ; mais, à coup sûr, ce n’est pas sans dessein que cet homme si riche est cité brusquement au tribunal du préteur. Ils attendent avec impatience, lorsqu’on voit Apollonius, pâle de frayeur, accourir avec son fils à peine sorti de l’enfance : son père, accablé de vieillesse, était depuis longtemps retenu dans son lit. Le préteur lui nomme un esclave qu’il prétend être l’inspecteur de ses troupeaux ; il dit que cet homme a conspiré et soufflé la révolte dans les autres ateliers. Or cet esclave n’existait point parmi ceux d’Apollonius. Le préteur exige qu’il le représente à l’instant. Apollonius assure qu’il n’a jamais eu d’esclave de ce nom. Verrès ordonne qu’on l’arrache du tribunal, et qu’on le traîne en prison. Je n’ai rien fait, s’écrie ce malheureux, je suis innocent : j’ai beaucoup de billets chez moi ; mais pour le moment, je n’ai pas d’argent comptant. Tandis qu’il proteste ainsi, en présence d’une assemblée nombreuse, de manière à faire connaître à tous qu’il ne reçoit ce cruel outrage que parce qu’il n’a point donné d’argent ; tandis qu’il appuie surtout sur ce fatal argent, on le jette dans la prison.

VIII. Admirez la conduite conséquente du préteur, de ce préteur que ses défenseurs n’excusent pas comme un magistrat peu capable mais qu’ils vantent comme un excellent général. Dans un temps où l’on craint un soulèvement d’esclaves, il punit des maîtres qu’il n’a pas entendus, et délivre des esclaves qu’il a condamnés. Apollonius, riche propriétaire, perdait une fortune immense si les esclaves se révoltaient en Sicile : Verrès, sous prétexte d’une révolte d’esclaves, le fait jeter dans les fers, sans l’entendre ; et des esclaves que lui-même, de l’avis de son conseil, a déclarés convaincus de conspiration, il les délivre de sa seule autorité, sans prendre l’avis de son conseil.

Mais quoi ! si Apollonius a mérité d’être puni, ferai-je un crime à Verrès de l’avoir jugé sévèrement ? Non, je n’userai pas de tant de rigueur. Je sais qu’il est ordinaire aux accusateurs de pré-