Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/330

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[l’]entrée du soleil dans tel ou tel signe, il ne croyait l’hiver fini que lorsqu’il avait vu des roses : alors il se mettait en marche, et soutenait la fatigue des voyages avec tant de courage et de force, que jamais personne ne le voyait à cheval.

XI. À l’exemple des anciens rois de Bithynie, mollement étendu dans une litière à huit porteurs, il s’appuyait sur un coussin d’étoffe transparente et tout rempli de roses de Malte. Une couronne de roses ceignait sa tête, une guirlande serpentait autour de son cou ; il tenait à la main un réseau du tissu le plus fin, à mailles serrées, et plein de roses dont il ne cessait de respirer le parfum. Lorsque après cette marche pénible il arrivait dans quelque ville, cette même litière le déposait dans l’intérieur de son appartement. Les magistrats des Siciliens, les chevaliers romains se rendaient auprès de lui, comme vous l’avez appris d’une foule de témoins. Les procès étaient soumis à ce tribunal secret. Bientôt les vainqueurs emportaient ouvertement les décrets qu’ils avaient obtenus ; et quand il avait employé quelques moments à peser dans sa chambre l’or et non les raisons des parties, il croyait que le reste du jour appartenait à Vénus et à Bacchus. Ici je ne dois pas omettre une preuve de la prévoyance merveilleuse de notre incomparable général : sachez donc que, dans toutes les villes de la Sicile où les préteurs ont coutume de séjourner et de tenir les assises, il y avait toujours en réserve pour ses plaisirs quelque femme choisie dans une famille honnête. Plusieurs de ces beautés complaisantes venaient publiquement se placer à sa table ; celles qui conservaient un reste de pudeur ne se rendaient chez lui qu’à des heures convenues : elles évitaient le grand jour et les assemblées. Au surplus, dans de pareils festins, n’exigez pas ce silence respectueux que commande la présence d’un préteur on d’un général, cette décence qui préside ordinairement à la table d’un magistrat ; c’étaient des cris confus, c’étaient des clameurs horribles. Plus d’une fois même on en vint aux mains, et la scène fut ensanglantée. Car ce préteur exact et scrupuleux, qui n’avait jamais obéi aux lois du peuple romain, se soumettait religieusement aux lois que prescrivait le roi du festin. Aussi voyait-on, à la fin du repas, ici un blessé qu’on emportait de la mêlée, plus loin un champion laissé pour mort ; la plupart restaient étendus sans connaissance et sans aucun sentiment. A la vue de ces tristes effets de la débauche, le spectateur eût méconnu la table d’un préteur, il aurait cru errer parmi les débris d’une autre bataille de Cannes.

XII. Vers la fin de l’été, saison que tous les préteurs de la Sicile ont toujours employée aux voyages, parce qu’ils croient devoir choisir, pour visiter la province, le moment où les blés sont dans les aires : alors les esclaves sont rassemblés ; il est aisé d’en connaître le nombre, de juger du produit des récoltes ; les vivres sont abondants, et la saison n’oppose aucun obstacle : dans ce temps donc où les autres préteurs sont en course et en voyage, ce général, d’un genre nouveau, établissait son camp dans le plus délicieux bosquet de Syracuse. A l’entrée même du port, dans le lieu où la mer commence à s’enfoncer vers le rivage pour former le golfe, il faisait dresser des tentes du lin le plus fin. Alors il quittait le palais prétorial qui fut jadis celui du roi Hiéron, et de