Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/342

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étaient traînés de la prison à la mort, la tête voilée, afin qu’ils ne fussent pas reconnus ; d’autres, quoique reconnus par un grand nombre de citoyens, quoique réclamés par tous, n’en périssaient pas moins par le fer des bourreaux. Je peindrai l’horreur de leur mort et l’atrocité de leur supplice, lorsque je parlerai des Romains qu’il a fait périr ; ma voix s’élèvera pour vous dénoncer des cruautés inouïes, pour réclamer vengeance contre le bourreau de mes concitoyens ; et si, dans l’excès de ma douleur et de mes plaintes, les forces et la vie même viennent à m’abandonner, je m’applaudirai, en expirant, de mourir pour une si belle cause. Ainsi donc un brigantin pris aux pirates ; leur chef délivré ; des musiciens envoyés à Rome ; ceux à qui l’on avait trouvé de la figure, de la jeunesse et des talents, emmenés chez le préteur ; à leur place, et en pareil nombre, des citoyens romains traités en ennemis et livrés à la mort ; les étoffes, l’or, l’argent saisis, détournés au profit de Verrès : tels sont les exploits de ce grand guerrier ; telle est cette étonnante victoire.

XXIX. Quel fatal aveu lui est échappé dans la première action ! M. Annius venait de déposer qu’un chevalier romain avait péri sous la hache : il certifiait que le chef des pirates n’avait pas été mis à mort. Verrès qui, depuis tant de jours, gardait le silence, se réveilla tout à coup ; pressé par sa conscience, tourmenté par le souvenir de ses forfaits, il dit qu’il ne l’avait pas fait mourir, parce qu’il savait qu’on l’accuserait d’avoir reçu de l’argent et de n’avoir pas envoyé le véritable chef au supplice ; qu’au surplus, il avait deux chefs de pirates dans sa maison. Ô clémence ! disons mieux, ô patience admirable du peuple romain ! Annius dépose qu’un citoyen de Rome a été exécuté par votre ordre ; vous gardez le silence : qu’un chef des pirates ne l’a pas été ; vous en faites l’aveu. Des cris de douleur et d’indignation s’élèvent contre vous. Cependant le peuple romain commande à sa juste fureur ; il modère ses premiers transports, et remet le soin de sa vengeance à la sévérité des juges. Comment saviez-vous qu’on vous accuserait ? pourquoi le saviez-vous ? pourquoi en aviez-vous le soupçon ? Vous n’aviez pas d’ennemis ; et quand vous en auriez eu, votre conduite intègre et pure ne devait pas vous faire redouter l’examen des tribunaux. Était-ce votre conscience qui vous rendait craintif et soupçonneux ? Un cœur criminel est sujet à s’alarmer. Mais si, dans le temps même où vous étiez armé du pouvoir, vous redoutiez déjà l’accusation et les tribunaux, aujourd’hui que, mis en jugement, vous êtes convaincu par une foule de témoins, pouvez-vous douter encore de votre condamnation ? Vous craigniez, dites-vous, qu’on ne vous accusât d’avoir fait mourir un faux pirate ; mais pensiez-vous que votre justification serait bien complète, quand vous viendriez si longtemps après, forcé par ma sommation formelle, présenter aux juges un homme qu’ils n’auraient jamais vu ? Ne valait-il pas mieux le faire exécuter sur-le-champ à Syracuse où il était connu, et sous les yeux de la Sicile entière ? Voyez quelle différence : alors on ne pouvait rien vous reprocher ; aujourd’hui vous ne pouvez rien répondre. Aussi tous les généraux ont pris le premier parti ; vainement j’en cherche un seul qui, jusqu’à vous, ait agi comme vous.