Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/358

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fait sans doute, s’il ne lui eût manqué personne ; car dans un vaisseau dont l’équipage est complet, il ne reste plus de place ni pour plusieurs, ni même pour un seul. Je dis en second lieu que ceux des matelots qui sont restés ont manqué de tout. J’ajoute que la faute n’était celle de personne, ou que le coupable, s’il y en avait un, était celui qui avait le meilleur vaisseau, le plus grand nombre de rameurs, et le commandement suprême, ou enfin que, si tous ont manqué à leur devoir, Cléomène n’a pas dû être spectateur tranquille des tourments et de la mort de ceux dont il était le complice. Je dis encore qu’il est horrible qu’on ait mis une taxe sur les larmes, sur le coup de la mort, sur la sépulture de ces infortunés.

Si donc vous voulez me répondre, dites que la flotte était bien équipée, qu’il n’y manquait pas un soldat, qu’aucun banc n’était vide, que les vivres ont été fournis aux équipages, que les capitaines sont des imposteurs, que tant de cités respectables, que la Sicile entière, attestent une imposture ; que Cléomène est un traître, quand il dit être descendu à Pachynum pour y prendre des soldats ; que les capitaines ont manqué non de troupes, mais de courage ; qu’ils ont lâchement abandonné Cléomène qui combattait en héros ; que personne n’a reçu d’argent pour leur sépulture : si c’est là ce que vous dites, il sera facile de vous confondre ; si vous dites autre chose, vous ne m’aurez pas répondu.

LII. Et vous viendrez dire ici : Tel juge est mon ami, tel autre est l’ami de mon père ! Non, Verrès : plus ce juge a eu de rapports avec vous, plus il rougit, en vous voyant l’objet d’une telle accusation. L’ami de votre père ! Eh ! votre père lui-même, s’il était juge, que pourrait-il faire ? « Mon fils, vous dirait-il, tu étais préteur dans une province du peuple romain ; et lorsque ton devoir était de tout disposer pour une guerre maritime, tu as, pendant trois années, dispensé Messine du vaisseau que le traité l’obligeait de fournir ; et cette même Messine, aux frais de son trésor, a construit pour toi un superbe vaisseau de transport. Tu faisais contribuer les villes pour l’équipement d’une flotte, et tu vendais à ton profit les congés des matelots. Lorsque ton questeur et ton lieutenant eurent pris un vaisseau des pirates, tu en as soustrait le chef à tous les regards, et tu n’as pas craint de frapper de la hache des hommes reconnus et réclamés comme citoyens romains ! tu as osé retirer des pirates dans ta maison, et produire devant le tribunal leur chef que tu gardais chez toi ! Dans une province telle que la Sicile, chez les plus fidèles de nos alliés, sous les yeux d’une foule de citoyens romains, au milieu des alarmes et des périls de la province, tu as passé plusieurs jours de suite à t’enivrer sur le rivage, et pendant ce temps, nul n’a pu pénétrer jusqu’à toi, ni te voir un instant dans le forum. Tu admettais à ces festins les épouses de nos amis et de nos alliés ; et parmi ces femmes corrompues, tu plaçais ton fils, mon petit-fils, à peine sorti de l’enfance, afin que, dans cet âge tendre et flexible, l’exemple de son père fût pour lui la première leçon du vice. Préteur, tu as paru dans ta province en tunique, en manteau de pourpre ; afin de tranquilliser tes honteuses amours, tu as ôté au lieutenant du peuple romain le commandement de nos vaisseaux, et tu