Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/361

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regards sur toutes les mers. Arrivait-il un vaisseau de l’Asie, de la Syrie, de Tyr, d’Alexandrie, ou de quelque autre lieu, soudain il était saisi par ses agents. On conduisait tout l’équipage aux carrières ; on transportait les cargaisons dans le palais du préteur. La Sicile, après un long intervalle, voyait reparaître, non pas un autre Denys, non pas un autre Phalaris, non pas un des cruels tyrans qu’elle a produits en grand nombre, mais un monstre de la nature de ceux qui, dans les siècles antiques, ravagèrent cette malheureuse contrée. J’ose le dire, Charybde et Scylla firent moins de mal aux navigateurs que dans ce même détroit ne leur en a fait Verrès, d’autant plus redoutable qu’il s’était entouré d’une meute et plus nombreuse et plus dévorante. C’était un autre cyclope plus terrible encore que le premier. Polyphème du moins n’occupait que l’Etna et le pays qui l’avoisine Verrès dominait sur la Sicile entière.

Mais enfin de quel prétexte voilait-il cette abominable cruauté ? Du même prétexte que tout à l’heure on alléguera dans sa défense. Tous ceux qui abordaient en Sicile avec quelques richesses, étaient, à l’entendre, des soldats de Sertorius qui fuyaient de Dianium. Pour détruire cette imposture, ils présentaient, les uns de la pourpre de Tyr, les autres de l’encens, des parfums, des étoffes de lin ; d’autres, des perles et des pierres précieuses ; quelques-uns des vins grecs et des esclaves d’Asie, afin que, par la nature de leurs marchandises, on put juger de quels lieux ils arrivaient. Ils n’avaient pas prévu que ce qu’ils croyaient être la preuve de leur innocence serait la cause de leur danger. Il disait que toutes ces richesses étaient le fruit de leur association avec les pirates ; il les envoyait aux carrières, et faisait garder avec soin les vaisseaux et les cargaisons.

LVII. Lorsque la prison se trouvait remplie de négociants, on employait, pour la vider, le moyen qui vous a été attesté par L. Suétius, un de nos chevaliers les plus respectables, et qui le sera de même par les autres témoins. Des citoyens romains étaient indignement étranglés dans la prison. En vain ils s’écriaient : JE SUIS CITOYEN ROMAIN. Ce cri puissant que tant d’autres n’ont pas fait entendre vainement aux extrémités de la terre et chez les barbares, ne servait qu’à rendre et leur supplice plus prompt et leur mort plus cruelle. Eh bien ! Verrès, quelle est la réponse que vous préparez ? direz-vous que j’en impose ? que j’invente ? que j’exagère ? est-ce là ce que vous voulez faire dire par vos défenseurs ? Qu’on lise les registres des Syracusains, ces registres que lui-même a produits, et qu’il croit avoir été rédigés au gré de ses désirs, qu’on lise le journal de la prison, où sont constatées avec exactitude les dates de l’entrée, de la mort ou de l’exécution de chaque prisonnier. REGISTRE DES SYRACUSAINS.

Vous voyez des Romains jetés pêle-mêle dans les carrières ; vous voyez vos concitoyens entassés dans ce séjour d’horreur. Cherchez à présent les traces de leur sortie : il n’en existe pas. Tous sont-ils morts de maladie ? Quand Verrès pourrait le dire, on ne le croirait point. Mais dans ces mêmes registres, il y a un mot que cet homme