Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/363

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l’assurance de son salut ? Eh bien ! ils trouvaient un asile dans les bras du héros contre lequel ils avaient porté les armes : auprès de vous, Verrès, auprès de vous, homme sans courage et sans vertu, ils ne trouvaient que le supplice et la mort ! Voyez combien votre défense est heureusement combinée.

LIX. Certes j’aime mieux que les juges et le peuple romain s’en réfèrent à votre apologie qu’à mon accusation. Oui, j’aime mieux qu’ils voient en vous le bourreau de ces hommes que celui des négociants et des navigateurs. Mon accusation prouve chez vous une monstrueuse avarice : par votre défense, vous voilà convaincu de frénésie, de cruauté, d’une férocité inouïe, et, j’oserais dire, d’une nouvelle proscription.

Mais non, il ne m’est pas permis de profiter d’un tel avantage. Je vois ici toute la ville de Pouzzol : je vois une foule de négociants riches et honnêtes qui sont venus pour attester que leurs associés, que leurs affranchis, dépouillés, mis aux fers par Verrès, ont été les uns assassinés dans les prisons, les autres exécutés sur la place publique. Remarquez, Verrès, jusqu’où va ma modération. P. Granius, un de mes témoins, doit déposer que ses affranchis ont été frappés de la hache par votre ordre ; il vous redemandera son vaisseau et ses marchandises : quand je l’aurai fait entendre, réfutez-le, si vous pouvez ; j’abandonnerai mon témoin ; je vous seconderai, oui, je vous appuierai de tout mon pouvoir. Prouvez que ces hommes avaient été soldats de Sertorius, qu’ils ont été jetés sur les côtes de la Sicile, lorsu’ils fuyaient de Dianium. Prouvez-le : c’est le plus ardent de mes vœux ; car de tous les crimes qu’on peut imaginer, il n’en est pas qui mérite un plus grand supplice. Je reproduirai L. Flavius, si vous le voulez ; et puisque, dans la première action, soit prudence, comme le disent vos défenseurs, soit comme tout le public le pense, impossibilité de répondre à des dépositions trop accablantes, vous n’avez interrogé aucun de mes témoins : demandez-lui quel était L. Hérennius, ce banquier de Leptis, qui, reconnu et avoué par plus de cent de nos Romains établis à Syracuse, a été, malgré leurs supplications et leurs larmes, frappé de la hache, en présence de tous les Syracusains. Réfutez ce témoin, et prouvez, démontrez, c’est moi qui vous en conjure, que ce banquier de Leptis ne fut en effet qu’un soldat de Sertorius.

LX. Que dirai-je de tant d’autres qui, la tête voilée, étaient conduits au supplice comme des pirates pris les armes à la main ? Quelle était cette précaution nouvelle ? et qui vous l’avait inspirée ? Étiez-vous effrayé des cris de Flavius et des autres amis d’Hérennius ? L’autorité du vertueux Annius vous avait-elle rendu plus attentif et plus réservé ? Il déclare ; sous la foi du serment, que la hache a frappé, non pas un étranger sans aveu, ni un ennemi de Rome, mais un citoyen connu de tous les Romains de ce pays, né dans la ville de Syracuse.

Ces réclamations, ces plaintes, ce cri de l’indignation générale, ne le rendirent pas plus humain : seulement il devint plus circonspect. De ce moment, les citoyens romains furent conduits à la mort, la tête voilée. S’il les faisait exécuter en public, c’est que les Syracusains comptaient avec trop d’exactitude les pirates qu’on livrait