Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/41

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change pas le soupçon en certitude, prononcez que le fils est l’auteur du meurtre.

Le premier qui annonce cette mort dans Amérie est un certain Mallius Glaucia, homme de néant, affranchi, client et ami de Titus. Il descend, non chez le fils, mais chez Capiton, ennemi de Roscius. Le meurtre avait été commis après la première heure de la nuit : l’émissaire arrive dès le point du jour. Pendant la nuit, en dix heures, il a fait en voiture une course de cinquante-six milles, en sorte qu’il vient, non seulement annoncer le premier à Capiton une nouvelle ardemment désirée, mais lui montrer même le sang de son ennemi, encore fumant, et présenter le poignard à peine retiré du corps.

Quatre jours après, on fait part de cet événement à Chrysogonus, au camp de Sylla, près de Volaterre ; on lui vante les richesses de Roscius, on lui fait connaître la bonté de ses terres (il en a laissé treize, presque toutes sur les bords du Tibre), le peu de ressources qui restent au fils, l’abandon où il se trouve : on démontre que, si le père, qui jouissait d’une si grande considération, qui avait un si grand nombre d’amis, a été assassiné sans peine, il ne sera pas difficile de se défaire du fils, homme sans défiance, vivant dans les champs, inconnu à Rome. Ils lui offrent leurs bras : bientôt une association est formée.

VIII. On ne parlait plus de proscriptions ; ceux même que la peur avait éloignés, revenaient à Rome et se croyaient à l’abri de tout danger. Cependant le nom de Roscius, de l’homme le plus dévoué à la cause des nobles, est inscrit sur les tables fatales. Chrysogonus se fait adjuger les biens ; trois des meilleures terres sont données en propriété à Capiton, qui les possède aujourd’hui. Titus, au nom de Chrysogonus, ainsi qu’il le dit lui-même, envahit le reste. Des biens qui valent six millions de sesterces sont adjugés pour deux mille.

Je sais, et je le sais avec certitude, que tout s’est fait à l’insu de Sylla. En effet, considérez que Sylla est occupé à la fois à régler le passé, à préparer l’avenir ; qu’à lui seul est remis le pouvoir d’établir la paix et de conduire la guerre ; que tous les yeux sont fixés sur lui seul ; que seul il gouverne tout ; que, surchargé d’affaires de la plus haute importance, il n’a qu’à peine la liberté de respirer : considérez surtout qu’une foule de subalternes observe le temps de ses occupations, épie le moment d’une distraction, pour se livrer au crime ; et vous ne serez pas surpris qu’il échappe quelque chose à sa vigilance. D’ailleurs, quoiqu’il jouisse d’un bonheur sans exemple, quel mortel peut être assez heureux pour n’avoir pas, dans un nombreux domestique, un esclave ou un affranchi malhonnéte ?

Cependant l’honnête Titus, chargé des pouvoirs de Chrysogonus, vient à Amérie ; il s’empare des terres de Roscius, et, sans respecter la douleur de son malheureux fils, sans lui donner le temps de rendre les derniers devoirs à son père, il le dépouille, il le chasse de sa maison, il l’arrache à ses foyers paternels et à ses dieux pénates : des richesses immenses sont en son pouvoir. Il avait jusque-là vécu dans la misère ; à la tête d’une fortune qui n’est pas à lui, il devient prodigue et dissipateur : c’est l’ordinaire. Il emporte ouvertement dans sa maison un grand nombre d’effets ; il en soustrait une plus grande partie ; d’au-