Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/423

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

silence. Si donc vous pensez que la loi et les devoirs de votre place vous prescrivent de croire tous les témoins, il n’y a pas de raison de penser qu’un juge soit meilleur ou plus éclairé qu’un autre. Son mérite se réduit à avoir des oreilles, et la nature en a pourvu tout le monde, en a fait un bien commun aux insensés et aux sages. En quoi donc peut briller la prudence ? en quoi peut-on distinguer un ignorant et crédule auditeur, d’un juge clairvoyant et religieux ? en quoi ? en ce que le juge éclairé soumet à ses réflexions et à ses conjectures les dépositions des témoins, en ce qu’il examine quelle confiance ils méritent, et l’esprit de justice, la retenue, la bonne foi, l’amour d’une bonne réputation, le respect des dieux, l’attention, la crainte religieuse, que manifestent leurs discours.

X. Accueillerez-vous, sans donner place au doute, le témoignage de ces hommes, de ces barbares, tandis que souvent, de nos jours et du temps de nos pères, on a vu des juges pleins de sagesse hésiter sur celui des plus illustres personnages de Rome ? Ces juges n’ont pas ajouté foi à des témoins tels que Cn. et Q. Cépion, tels que L. et Q. Métellus, qui déposaient contre Q. Pompéius, homme nouveau : en vain leur mérite, leur naissance, leurs grandes actions semblaient augmenter l’autorité de leur témoignage, le soupçon d’inimitié et de passion fit perdre tout crédit à leurs paroles. Avons-nous vu, pouvons-nous citer un homme comparable à M. Emilius Scaurus, pour la prudence, la sagesse, la fermeté et les autres vertus, pour l’éclat des honneurs, pour le génie, pour les exploits ? Cependant cet homme qui, par un simple signe de sa volonté, gouvernait l’univers, n’a pas été cru, lorsqu’il déposait, sous la foi du serment, contre C. Fimbria et C. Memmius. Les juges ne voulurent pas fournir à la haine ce moyen de perdre un ennemi. Qui ne sait quelle était la modération de L. Crassus, son génie, sa réputation ? Cet illustre citoyen, dont les simples discours avaient la force d’un témoignage authentique, ne put faire croire, par son témoignage même, ce qu’il attestait dans un esprit de haine contre M. Marcellus. Telle était, oui, telle était, citoyens, la rare et singulière prudence de ces anciens juges : ils croyaient devoir juger, non seulement l’accusé, mais encore l’accusateur et les témoins ; ils examinaient si les dépositions étaient suspectes, si elles étaient fournies par le hasard et par les conjonctures, dictées par l’espérance, par la crainte, par un vil intérêt, par l’inimitié, par une passion quelconque. Si un juge, dans sa sagesse, n’embrasse pas tous ces motifs ; si son esprit, sa raison ne sait les envisager, comme je l’ai dit déjà, si tout ce qui sort de la bouche des témoins est regardé par lui comme un oracle : alors il suffira, pour remplir la fonction de juge, de n’être pas sourd ; et il sera désormais inutile d’investir du droit de juger celui que distinguent sa sagesse et une expérience consommée.

XI. Quoi donc ! ces chevaliers romains que nous avons vus dernièrement se distinguer par le soin des affaires publiques et la décision des plus grandes causes, ont eu assez de courage et de fermeté pour refuser d’ajouter foi aux dépositions de Scaurus ; et vous accueillerez sans examen celles des Volces et des Allobroges ! Si l’on ne doit pas croire un témoin ennemi, Crassus était-il plus