Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/43

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victime des circonstances. Il faut, disaient-ils, qu’après une si longue interruption de la justice, le premier qui sera mis en cause, soit condamné. Le crédit de Chrysogonus fermera la bouche à tous les orateurs. On ne parlera ni de la vente des biens, ni de notre association. Sextus n’étant pas défendu, le mot seul de parricide et l’imputation d’un crime aussi atroce suffiront pour le perdre. Aveuglés par ce raisonnement, égarés par leur délire, ils ont voulu que vous fussiez ses bourreaux, parce qu’ils n’ont pu être ses assassins.

XI. Quel sera le premier objet de mes plaintes ? quel secours dois-je invoquer ? à qui dois-je adresser mes prières ? Déclamerai-je la protection des dieux immortels, ou celle du peuple romain, ou le souverain pouvoir dont vous êtes revêtus ? Le père indignement égorgé, sa maison envahie, ses biens usurpés, possédés, pillés par ses ennemis ; les jours du fils attaqués, les poignards levés contre lui, mille piéges tendus à sa vie : quel genre de scélératesse manque à tant de forfaits ? Eh bien ! ils y ajoutent encore, ils y mettent le comble par d’autres atrocités : ils fabriquent une accusation incroyable ; avec son argent même, ils achètent contre lui des témoins et des accusaleurs. Tendre la gorge à Titus, ou périr par le supplice infâme des parricides, telle est l’alternative qu’ils présentent à cet infortuné. Ils ont pensé que les orateurs lui manqueraient, ils lui manquent en effet : mais dans cette cause, il n’a besoin que d’un homme qui parle librement, qui ne lui soit pas infidèle ; et cet homme ne lui manquera pas : j’ai entrepris de le défendre. Le zèle a peut-être égaré ma jeunesse ; mais puisque je l’ai promis, dussent tous les dangers m’environner à la fois, je remplirai mon devoir. Mon parti est pris : je suis déterminé à dire tout ce que je crois utile à ma cause, et à le dire franchement, hardiment, librement. Quoi qu’il puisse arriver, jamais, non, jamais la crainte ne me fera trahir mes engagements et ma foi. Eh ! qui donc serait assez lâche pour se taire, pour demeurer insensible à la vue de tant d’indignités ? Vous avez égorgé mon père, quoiqu’il n’eût pas été proscrit. Après l’avoir tué, vous l’avez mis au nombre des proscrits : vous m’avez chassé de ma maison, vous possédez mon patrimoine. Que voulez-vous de plus ? Êtes-vous aussi venus à cette audience avec des poignards et des épées, pour égorger Sextus aux pieds de ses juges, ou pour leur arracher par la violence l’arrêt de sa condamnation ?

XII. Nous avons vu dans ces derniers temps C. Fimbria, le plus audacieux, et, j’en atteste quiconque n’a pas lui-même encore perdu la raison, le plus extravagant de tous les hommes. Pendant les funérailles de Marius[1], il avait fait poignarder Scévola, le citoyen le plus vertueux, le plus respectable de la république : ce n’est pas ici le lieu de m’étendre sur ses louanges, et tout ce que je dirais n’ajouterait rien à l’idée qu’en a conservée le peuple romain. Fimbria, instruit que la blessure n’était pas mortelle, cita Scévola en justice. On lui demandait de quoi il accuserait un homme dont la vertu était au-dessus de tout éloge. Je l’accuserai, reprit ce forcené, de n’a-

  1. L’an de Rome 667