Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/459

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l’ordre de proscrire et de mettre à mort cet Aurius qui l’avait menacé d’une accusation et d’un procès criminel, un autre Aurius avec Caïus son fils, enfin Sextus Virbius qui lui avait prêté son infâme ministère pour corrompre le messager venu de la Gaule. Ces barbares exécutions portèrent la terreur dans toutes les âmes, et personne ne se crut à l’abri de la proscription et de la mort. Tant de forfaits ayant été mis au grand jour et prouvés à la justice, comment s’imaginer qu’il eût jamais pu être absous ?

IX. Mais tous ces crimes ne sont rien encore. Écoutez la suite, et vous vous étonnerez, non pas qu’on l’ait enfin retranché de la société, mais qu’on ait pu quelque temps l’y souffrir. D’abord admirez l’audace de cet homme. Il conçoit le désir d’épouser Sassia, mère de mon client, cette femme dont il venait d’assassiner le mari, Aulus Aurius. L’effronterie de celui qui fait une si étrange proposition surpasse-t-elle la cruauté de celle qui l’accepte, c’est ce qu’on ne saurait décider. Toutefois connaissez la délicatesse et la force d’âme de l’un et de l’autre. Oppianicus demande la main de Sassia, et il la demande avec instances. Elle, de son côté, n’est point surprise de son audace, révoltée de son impudence, saisie d’horreur à l’idée d’entrer dans la maison d’Oppianicus, inondée du sang de son époux. Seulement elle témoigne quelque répugnance à prendre pour époux un homme qui a déjà trois fils. Oppianicus, qui convoitait l’argent de Sassia, crut devoir chercher dans sa maison le moyen de lever cet obstacle. Il avait de Novia un fils au berceau. Un autre, qu’il avait eu de Papia, vivait auprès de sa mère, à Théanum d’Apulie, à dix-huit milles de Larinum. Tout à coup, sans aucun motif, il fait venir cet enfant de Téanum, ce qu’il ne faisait ordinairement que les jours de fête et de jeux publics. La malheureuse mère l’envoie sans rien soupçonner. Oppianicus feint de partir pour Tarente, et l’enfant qu’on avait vu plein de santé vers la onzième heure, se trouve mort avant la nuit ; et le lendemain avant le jour, il ne restait que sa cendre. Cette affreuse nouvelle fut portée à sa mère par la rumeur publique, avant que personne de la maison d’Oppianicus fût venu l’en informer. Désespérée de se voir en même temps ravir et son malheureux fils et la consolation de lui rendre elle-même les devoirs funèbres, elle part aussitôt, arrive éperdue à Larinum, et renouvelle les funérailles d’un fils que la flamme a déjà consumé. Dix jours ne s’étaient pas encore écoulés, que le plus jeune enfant périt à son tour. Aussitôt Sassia vole dans les bras d’Oppianicus, ivre de joie et pleine désormais des plus belles espérances. Il ne faut pas s’en étonner : des fils mis au bûcher étaient une offrande digne d’elle ; de tels présents de noce devaient charmer son cœur. Lui, différent des autres pères, qui désirent des richesses à cause de leurs enfants, trouvait bien plus doux de sacrifier ses enfants pour augmenter ses richesses.

X. Je m’aperçois, citoyens, de l’indignation qu’excite dans vos âmes généreuses le court récit de tant de forfaits. Quelle horreur durent-ils donc inspirer à ceux que leur devoir obligeait non seulement de les entendre, mais encore de les juger ? Je vous parle d’un homme dont vous n’êtes pas les juges ; que vous ne voyez pas ; que vous ne pouvez plus haïr ; qui a satisfait à la nature et aux lois ; aux lois qui l’ont puni de l’exil, à la nature qui l’a frappé de mort : et je vous en parle sans être son ennemi ; je ne produis pas les témoins