Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/467

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par la voix des juges, Cluentius ne crut pourtant pas devoir l’accuser aussitôt. Il voulait voir si la sévérité des juges s’arrêterait à ceux entre les mains desquels on avait trouvé le poison, ou s’ils croiraient dignes de châtiment les instigateurs et les complices de si grands forfaits. Il appela d’abord en justice C. Fabricius, que ses liaisons avec Oppianicus lui rendaient justement suspect, et il obtint que cette cause, naturellement liée à celle de Scamander, fût jugée avant toute autre. Fabricius ne me fit point solliciter cette fois par mes voisins et mes amis d’Aletrium ; il ne trouva même personne chez eux qui se présentât pour le défendre ou pour faire son éloge. Nous pensions que, s’il y avait de la générosité à prendre en main la cause d’un compatriote violemment soupçonné, mais qui pouvait encore être absous, il y aurait de l’impudence à s’élever contre un arrêt solennellement prononcé. Embarrassé de trouver un défenseur pour une pareille cause, Fabricius eut recours, dans sa détresse, aux frères Cépasius, plaideurs infatigables et toujours prêts à recevoir, comme un honneur et un bienfait, toutes les occasions qu’on pouvait leur offrir d’exercer leur industrie.

XXI. Et ici je remarquerai un contraste étonnant entre deux choses qui se ressemblent. Est-on attaqué d’une maladie, plus elle est grave, plus on choisit un médecin habile et renommé. A-t-on à soutenir une accusation capitale, il suffit que l’affaire soit mauvaise pour qu’on s’adresse à un avocat sans nom et sans talent. La raison en est peut-être que, le médecin n’est responsable que de sa capacité dans son art, tandis que l’orateur doit encore offrir aux juges une garantie morale. On cite l’accusé ; la cause se plaide ; Canutius expose les griefs en peu de mots, comme une affaire déjà jugée. L’aîné des Cépasius commence sa réponse par un préambule très long et tiré de fort loin. On l’écoute d’abord avec attention. Oppianicus, abattu et découragé, sentait renaître son espoir. Fabricius même se réjouissait. Il ne voyait pas que les juges étaient moins frappés de l’éloquence de l’orateur, que choqués de son effronterie. Quand Cépasius en vint à parler sur le fond, il porta lui-même de nouveaux coups à une cause déjà prête à succomber. Malgré la franchise de son zèle, on eût dit quelquefois qu’au lieu de défendre l’accusé, il était de connivence avec l’accusateur. Cet habile avocat croyait plaider avec une adresse infinie, et s’applaudissait d’avoir trouvé, dans les trésors de sa rhétorique, ces paroles imposantes : « Regardez, juges, combien est fragile la destinée des hommes ; regardez l’incertitude et la variété des événements ; regardez la vieillesse de Fabricius ». Après avoir répété bien des fois, pour l’ornement de son discours, ce mot touchant, Regardez, il regarda lui-même. Mais Fabricius, honteux et confus, s’était levé de sa place et avait disparu. Les juges éclatent de rire ; l’avocat s’emporte ; il se plaint que sa cause lui échappe ; qu’il ne peut achever ce mouvement si pathétique, Regardez, juges. On vit presque le moment où il allait courir après l’accusé, le saisir à la gorge, et le ramener à sa place, afin de pouvoir finir cet éloquent morceau. Ainsi Fabricius fut condamné d’abord par un arrêt infaillible, celui de sa conscience, ensuite par l’autorité de la loi et la sentence des juges.

XXII. Qu’est-il besoin de parler maintenant du procès d’Oppianicus ? Il fut accusé devant les