Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/470

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vais, juges, reprendre les choses d’un peu plus haut, et je vous dévoilerai si bien ce mystère d’iniquité, si longtemps enveloppé de ténèbres, que vous croirez tout voir de vos propres yeux. Je vous prie de me continuer jusqu’au bout l’attention que vous m’avez donnée jusqu’ici. Je ne dirai rien qui ne soit digne de l’assemblée qui m’écoute, digne de la bienveillance et de l’intérêt dont vous m’honorez.

Aussitôt qu’Oppianicus put soupçonner, en voyant Scamander accusé, le sort qui l’attendait à son tour, il rechercha l’amitié de Stalénus, homme pauvre, audacieux, exercé dans l’art de corrompre des juges, et qui alors était juge lui-même. Dès le procès de Scamander, il avait, à force de présents, déterminé cet homme à montrer en faveur de l’accusé un zèle peu compatible avec l’impartialité de ces fonctions. Mais quand il vit que Scamander n’avait eu pour lui que la voix de Stalénus, et que l’ancien maître de Scamander n’avait pas même eu la voix de sa propre conscience, il sentit la nécessité de recourir pour lui-même à des moyens plus efficaces. Il s’adressa donc à Stalénus, comme à l’intrigant le plus habile à trouver des ressources, le plus effronté à les mettre en œuvre, le plus ardent à les faire réussir, qualités qu’il possédait en effet et qu’il feignait de posséder encore à un plus haut degré. C’est lui dont Oppianicus, pour sauver sa tète, invoqua le secours.

XXV. Vous n’ignorez pas, juges, que les animaux pressés par la faim retournent ordinairement aux mêmes lieux où ils ont déjà trouvé leur pâture. Deux ans auparavant, Stalénus s’était chargé de l’affaire des biens de Safinius Atella, et devait, disait-il, pour six cent mille sesterces corrompre les juges. Il les reçoit du pupille, les garde, et après le jugement il ne les rend ni à Safinius ni aux acquéreurs des biens. Quand il eut dépensé cet argent, sans en rien réserver, je ne dis pas pour fournir à ses prodigalités, mais pour satisfaire ses besoins, il prit le parti de recourir à de nouvelles proies judiciaires, et de continuer à tout garder pour lui. Voyant donc Oppianicus perdu sans ressource, et frappé à mort par deux arrêts précédents, il releva son courage par d’adroites promesses, et l’assura que tout n’était pas désespéré. Oppianicus pria cet homme de lui indiquer les moyens de corrompre les juges. Celui-ci (comme on l’a depuis entendu de la bouche d’Oppianicus ) répondit que lui seul dans Rome était capable de lui rendre ce bon office. Mais il fit quelques difficultés, parce que se trouvant, disait-il, en concurrence, pour l’édilité, avec des candidats de la plus grande distinction, il craignait d’indisposer les esprits par quelque démarche imprudente. Enfin, se laissant fléchir, il demanda une somme exorbitante ; puis il voulut bien se réduire à ce qui était possible, et ordonna qu’on apportât chez lui six cent quarante mille sesterces. Une fois en possession de l’argent, cette âme basse et dégradée se mit à faire le honteux calcul que rien ne favoriserait mieux ses intérêts que la condamnation d’Oppianicus. En effet, s’il était absous, il faudrait ou distribuer la somme aux juges, ou la lui rendre à lui-même ; tandis que, s’il était condamné, personne ne la réclamerait. Plein de cette idée, il imagine la plus extraordinaire des fourberies ; et vous n’hésiterez point, juges, à croire le récit véritable que je vais vous en faire, si vous voulez interroger vos souvenirs, et vous