Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/474

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tenant et par ceux que leur qualité de juges rend arbitres de notre sort, et par ceux dont nous n’ambitionnons que l’estime. Si j’avais parlé alors, certes on ne m’eût pas écouté. Ce n’est pas que la cause eût été différente ; elle était ce qu’elle est aujourd’hui ; mais les circonstances n’étaient pas ce qu’elles sont. En voici la preuve.

XXX. Qui eût osé dire alors qu’Oppianicus avait été justement condamné ? qui oserait dire aujourd’hui le contraire ? Qui eût pu l’accuser alors d’avoir essayé de corrompre les juges ? qui peut maintenant contester ce fait ? A qui eût-il été permis alors d’avancer qu’Oppianicus n’avait été traduit en justice qu’après deux arrêts solennels dont l’autorité le condamnait d’avance ? maintenant pense-t-on même à le nier ? Ainsi une fois les préventions détruites par le temps qui les a affaiblies, par mon discours qui les a combattues, par votre impartiale justice qui les a bannies pour faire place à la vérité, que reste-t-il de douteux dans ma cause ?

Une somme a été donnée pour corrompre les juges ; voilà ce qui est constant. Par qui, de l’accusateur ou de l’accusé, a-t-elle été donnée ? voilà ce qu’on cherche. L’accusateur vous dit : D’abord je dénonçais des crimes si énormes, que je n’avais nullement besoin de recourir à l’argent. Ensuite, je livrais à la justice un homme condamné d’avance, et que l’argent même n’aurait pu sauver. Enfin, quand il aurait été absous, mon existence et ma fortune n’en recevaient aucune atteinte. Que dit au contraire l’accusé ? D’abord la multitude et la gravité des charges qui pesaient sur moi me faisaient trembler. Ensuite, je lisais ma propre condamnation dans la sentence des Fabricius, condamnés parce qu’ils étaient mes complices. Enfin, mon existence tout entière dépendait du jugement qui allait être rendu.

L’un avait donc, pour corrompre les juges, des motifs nombreux et puissants, et l’autre n’en avait aucun. Passons maintenant à l’argent même, et voyons d’où il est sorti. Cluentius tenait ses registres avec beaucoup d’exactitude. Il en résulte au moins qu’il n’a pu, sans qu’on le sache, rien ajouter ni rien ôter à sa fortune. Vous avez eu le temps, depuis huit ans, d’étudier cette cause ; depuis huit ans les registres de Cluentius et ceux de beaucoup d’autres, feuilletés mille et mille fois, ont offert à vos recherches tous les faits qui se rattachent à ce procès ; et pendant tout ce temps vous ne trouvez aucune trace d’argent donné par Cluentius. Mais l’argent d’Oppianicus, avons-nous donc besoin de le suivre à la trace ? ne pouvons-nous pas, guidés par vous, aller droit au lieu qui le cache et le saisir en son obscur repaire ? Nous le tenons en effet : six cent quarante mille sesterces à la fois ; et cela chez le plus audacieux des hommes ! et cela chez un juge ! Que demandez-vous de plus ? Mais, direz-vous, c’est l’accusateur et non l’accusé qui avait chargé Stalénus de corrompre les juges. — Pourquoi donc, lorsqu’on allait prendre les voix, l’accusateur et son avocat souffraient-ils l’absence de Stalénus ? pourquoi, lorsqu’ils priaient les juges de prononcer, ne demandaient-ils pas que Stalénus fût présent ? C’est Oppianicus qui le demandait ; Quintius l’exigeait impérieusement ; il fallut l’autorité de ce tribun pour empêcher qu’on ne délibérât sans Stalénus. — Mais Stalénus vota contre Oppianicus. — C’est qu’il devait cette ga-