Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/484

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et ont donné pour motif de leur décision le jugement rendu par ce tribunal. Je poserai d'abord en principe que jamais les notes des censeurs n'eurent, chez nous, l'autorité d'une sentence juridique. Je ne perdrai point le temps à prouver par beaucoup d'exemples une vérité si connue. Je n'en citerai qu'un seul : C. Géta, exclu du sénat par les censeurs L. Métellus et Cn. Domitius, fut lui-même ensuite nommé censeur; et celui dont ces magistrats avaient condamné les moeurs, fut à son tour établi juge des moeurs du peuple romain et de ceux même qui l'avaient censuré. Or, si les décisions des censeurs étaient regardées comme des jugements, semblable au condamné qu'un arrêt infamant a dégradé sans retour, l'homme flétri par une note ignominieuse trouverait à jamais fermés le chemin des honneurs et l'entrée du sénat. Mais non. Qu'un affranchi de Cn. Lentulus ou de L. Gellius déclare un accusé convaincu de vol, celui-ci, dépouillé de tout ce qui honorait son existence, ne pourra jamais recouvrer l'estime publique; et cependant des hommes que L. Gellius et Cn. Lentulus, tous deux censeurs, distingués tous deux par leur haut rang et leur rare sagesse, ont notés comme voleurs et concussionnaires, sont rentrés dans le sénat, et même ont été absous, en justice réglée, de ces imputations.

XLIII. Nos ancêtres ont voulu que dans toute contestation où il s'agirait, je ne dis pas de l'honneur d'un citoyen, mais du plus léger intérêt pécuniaire, nul ne pût prononcer comme juge, sans avoir été agréé par les deux parties. Aussi, aucune des lois qui déterminent en quel cas on ne saurait, ou exercer une magistrature, ou siéger dans un tribunal, ou se porter pour accusateur, ne fait de la note des censeurs une cause d'indignité. Cette magistrature fut établie pour inspirer une crainte salutaire, et non pour infliger des supplices aussi longs que la vie. Je vous montrerai donc, juges, ce que vous voyez déjà, que les décisions des censeurs furent souvent révoquées par les suffrages du peuple romain , et même par les arrêts de ceux que leurs serments obligent de prononcer avec une équité plus scrupuleuse et une justice plus éclairée. D'abord on a vu souvent les sénateurs et les chevaliers romains, ayant à juger des hommes notés par les censeurs pour avoir reçu de l'argent au mépris des lois, céder à la voix de leur conscience plutôt qu'à l'opinion de ces magistrats. Ensuite les préteurs de la ville, qui font serment de ne porter sur la liste des juges que des hommes d'une probité reconnue, n'ont jamais cru que les notes des censeurs dussent les arrêter dans leur choix. Les censeurs eux-mêmes n'ont pas toujours confirmé les jugements de leurs prédécesseurs, si l'on veut absolument que ce soient des jugements. Je dis plus : deux collègues dans la censure (tel est le respect qu'ils ont pour leurs mutuelles ordonnances) ne craignent pas de critiquer, d'annuler même les décisions l'un de l'autre. L'un veut exclure un sénateur de son ordre; l'autre l'y maintient, et le croit digne de siéger dans cette illustre assemblée. Celui-ci veut réduire un citoyen à la condition de tributaire, ou le transporter dans une tribu moins honorable; celui-là s'y oppose. Comment donc pourriez-vous avoir même l'idée d'appeler jugements des ordonnances que vous voyez cassées par le peuple romain, rejetées par les tri-