Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/499

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de ses femmes, de son frère, de ses enfants, l’ont précipité dans l’affreux séjour du crime et des tourments. Si ce sont là des chimères, comme personne n’en doute, qu’a donc pu lui enlever la mort, si ce n’est le sentiment de la douleur ?

LXII. Mais enfin ce poison, par qui l’a-t-on fait donner ? Par M. Asellius. Quelle liaison avait cet homme avec Cluentius ? Aucune. Je dis plus : ami d’Oppianicus, il ne pouvait que le haïr. Et Cluentius, haï d’Asellius, l’aurait chargé d’un assassinat ! c’est au plus intime ami d’Oppianicus qu’il aurait demandé la mort d’Oppianicus ! Et vous, Caïus, qu’un pieux devoir rend aujourd’hui son accusateur, pourquoi laissez-vous jouir Asellius d’une si longue impunité ? pourquoi n’avez-vous pas, comme Cluentius, fait condamner d’avance le vrai coupable, dans la personne du ministre de son crime ? Je vais plus loin, juges : quelle invraisemblance ! quelle invention nouvelle et bizarre ! empoisonner avec du pain ! La chose était-elle donc plus facile qu’avec du vin ? Le poison, caché dans quelque partie de ce pain, était-il plus invisible que s’il eût été dissous et mêlé dans un breuvage ? Fallait-il le manger et non le boire, pour qu’il s’insinuât avec plus de rapidité dans les veines ? Et si on venait à le découvrir dans ce pain, était-il plus facile d’en imposer aux yeux, que si un parfait mélange, en le confondant avec une liqueur, eût rendu impossible de le reconnaître ? — Mais Oppianicus est mort subitement. — Quand cela serait, un genre de mort dont on voit tant d’exemples n’autorise pas à supposer un empoisonnement. Et le soupçon, fût-il légitime, il devrait tomber sur d’autres que Cluentius. Mais le fait même est de la plus insigne fausseté. Afin de vous en convaincre, apprenez les détails de sa mort, et comment, après sa mort, une mère dénaturée appela sur la tête de Cluentius une injuste accusation.

Oppianicus, errant, exilé, repoussé de tout le monde, se retira dans le pays de Falerne, chez C. Quintilius. Là il fut attaqué d’une maladie assez grave et qui se prolongea quelque temps. Sassia était près de lui, entretenant avec un jeune et robuste laboureur, nommé Statius Albius, qui fréquentait la maison, des liaisons que n’aurait pas souffertes, dans une autre fortune, le mari le moins jaloux de son honneur, et vivant comme si la condamnation de son époux avait abrogé pour elle les saintes lois du mariage. Un certain Nicostrate, esclave d’Oppianicus, dont l’œil était clairvoyant et la bouche véridique, faisait, dit-on, à son maître de fâcheuses révélations. Cependant Oppianicus commençait à se rétablir. Ne pouvant supporter plus longtemps la scandaleuse rivalité du laboureur de Falerne, il partit pour venir auprès de Rome, où il avait, hors des portes, un asile qu’il tenait à loyer. On dit que, dans ce voyage, il tomba de cheval, et que cet homme d’une santé affaiblie, ayant reçu au côté une violente contusion, arriva près de la ville avec la fièvre, et mourut au bout de quelques jours. Voilà, juges, quelle fut sa mort. Certes, elle ne fait naître aucun soupçon ; ou, si elle est le fruit du crime, c’est un crime domestique, et c’est dans sa maison qu’il faut chercher le coupable.

LXIII. Après cet événement, la cruelle Sassia se hâte d’ourdir contre son fils un abominable complot : elle prend la résolution de faire des recherches sur la mort de son époux. Elle achète