Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/51

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qu’avant de croire un forfait si horrible, si atroce, si exécrable, il faut que les juges voient les mains du fils fumantes du sang de son père : d’où l’on peut conclure que moins ce forfait est croyable quand il n’est pas démontré, plus on doit sévir contre le coupable lorsqu’il est convaincu.

XXV. Aussi parmi plusieurs institutions qui prouvent que nos ancêtres l’ont emporté sur le reste des nations par les lumières et la sagesse, autant que par la force des armes, ce qui le démontre surtout, c’est qu’ils ont inventé contre les parricides un supplice extraordinaire. Observez combien à cet égard ils se sont montrés supérieurs aux hommes mêmes qu’on a regardés comme les plus sages chez tous les autres peuples. La sagesse d’Athènes, dans les temps de sa gloire, a été vantée par tous les siècles ; et Solon, qui dicta les lois que cette ville suit encore, a été le plus sage des Athéniens. On lui demandait pourquoi il n’avait pas établi de peines contre le parricide : J’ai pensé, dit-il, que ce crime ne se commettrait pas. On a loué sa prudence, de ce qu’il n’avait rien prononcé contre un attentat jusqu’alors sans exemple, dans la crainte que la loi qui le défendrait n’en fit naître l’idée. Oh ! combien nos ancêtres ont été plus sages ! Persuadés qu’il n’est point de terme qu’on puisse prescrire à l’audace, ils ont imaginé un supplice réservé aux seuls parricides, afin que la rigueur du châtiment détournât du crime ceux que la nature ne pourrait retenir dans le devoir. Ils ont voulu qu’ils fussent cousus vivants dans un sac de cuir, et jetés ainsi dans le Tibre.

XXVI. Ô sagesse admirable ! Ne semblent-ils pas les avoir séparés de la nature entière, en leur ravissant à la fois le ciel, le soleil, l’eau et la terre, afin que le monstre qui aurait ôté la vie à l’auteur de ses jours ne jouît plus d’aucun des éléments qui sont regardés comme le principe de tout ce qui existe ? Ils n’ont pas voulu que les corps des parricides fussent exposés aux bêtes, dans la crainte que, nourries de cette chair impie, elles ne devinssent elles-mêmes plus féroces ; ni qu’ils fussent jetés nus dans le Tibre, de peur que portés à la mer, ils ne souillassent ses eaux destinées à purifier toutes les souillures. En un mot, il n’est rien dans la nature ni de si vil ni de si vulgaire, dont ils leur aient laissé aucune jouissance. Qu’y a-t-il en effet qui soit plus de droit commun, que l’air pour les vivants, la terre pour les morts, la mer pour les corps qui flottent sur les eaux, le rivage pour ceux que les flots ont rejetés ? Eh bien ! ces malheureux achèvent de vivre, sans pouvoir respirer l’air du ciel ; ils meurent, et la terre ne touche point leurs os ; ils sont agités par les vagues, et n’en sont point arrosés ; enfin rejetés par la mer, ils ne peuvent, après leur mort, reposer même sur les rochers. En dénonçant un crime contre lequel on a inventé un supplice effroyable, croyez-vous, Érucius, convaincre des juges tels que les nôtres, lorsque vous n’alléguez pas même la cause d’un tel attentat ? Quand vous accuseriez Sextus devant les acquéreurs de ses biens, présidés par Chrysogonus lui-même, vous auriez dû vous préparer avec plus de soin. Ne voyez-vous pas quel est l’état de la question, et quels sont nos juges ? Il s’agit d’un parricide, d’un forfait qu’on ne peut commettre sans un grand nombre de motifs ; et nous